Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/240

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en Angleterre, mais ses adhérents n’en continuent pas moins à exercer une action permanente dans le mouvement ouvrier de ce pays, qui se traduit par l’organisation et l’action des Trade Unions. Le fait le plus important dans cette dernière année a été le mouvement des ouvriers agricoles. L’émigration des ouvriers agricoles irlandais en Angleterre a eu pour résultat de concentrer davantage les populations agricoles dans certains districts : ces ouvriers ont pu alors plus facilement commencer leur organisation. Aussitôt les propriétaires, dans les comtés, ont commencé leur œuvre réactionnaire, pour détruire l’organisation naissante ; les prêtres des deux religions, naturellement, se sont mis du côté des propriétaires. Trois mille ouvriers ont été congédiés, parce qu’ils appartenaient à l’Union agricole ; mais toutes les Trade Unions industrielles, et même la bourgeoisie radicale, ont ouvert des souscriptions générales pour venir en aide aux grévistes. C’est ainsi qu’ils ont pu soutenir la lutte. La question pour eux se pose maintenant de la manière suivante : Il y a en Angleterre passablement de terres non encore cultivées ; les ouvriers agricoles demandent, à cette heure, qu’elles leur soient concédées pour être exploitées par des sociétés coopératives de production ; mais, pour atteindre ce résultat, les ouvriers doivent obtenir le suffrage universel ; ils arriveront ainsi, par la voie législative, à faire décréter la remise aux associations agricoles des terres non cultivées.

« Frohme, délégué allemand, est heureux d’avoir l’occasion de donner quelques renseignements sur la situation du mouvement ouvrier en Allemagne. Chacun sait que les persécutions prennent des proportions considérables dans les pays allemands ; le socialisme est partout traqué. Ces persécutions démontrent que les gouvernements allemands considèrent le parti socialiste comme une puissance qu’il faut anéantir. C’est Ferdinand Lassalle qui, par son agitation, a donné une impulsion toute nouvelle au mouvement ouvrier en Allemagne. Il comprit qu’il était indispensable de créer une forte organisation centralisée, pour lutter avec efficacité contre les gouvernements allemands. Depuis la constitution de l’Empire germanique et l’immense centralisation politique existant dans ce pays, cette nécessité d’une organisation ouvrière fortement centralisée se fait de plus en plus sentir. Le premier moyen d’action qui fut préconisé par Lassalle fut la conquête du suffrage universel ; après quatre années d’agitation, le suffrage universel fut accordé, en 1867. La bourgeoisie libérale avait toujours écarté les classes ouvrières de toute participation à l’action politique, de sorte que celles-ci n’avaient jamais pu manifester leur volonté. Je sais bien, ajoute le délégué allemand, que ce n’est pas par des palliatifs qu’on atteindra le but, mais bien par une réforme complète et radicale. Mais l’action politique reste un excellent moyen d’agitation, et elle a produit en Allemagne des résultats surprenants : si on considère qu’aux dernières élections plus de quatre cent mille voix ont été données aux candidats socialistes, et cela quoique beaucoup d’ouvriers soient empêchés de manifester leur volonté par la pression morale et matérielle que la bourgeoisie exerce sur eux, on aura une idée de la force du parti. La guerre a paralysé le mouvement, mais cette guerre est maudite par les ouvriers allemands, qui sentent bien qu’elle n’a eu pour conséquence que de fortifier la tyrannie. Lorsque l’arbre est pourri, il ne faut pas se borner à couper quelques branches, c’est l’arbre tout entier qu’il faut abattre. Quant aux libertés dont jouissent les Allemands, il leur est permis de parler, d’écrire, de se réunir, pour autant que c’est le bon plaisir du gouvernement et même du premier agent de police venu. Ainsi les socialistes, pour avoir usé de ces libertés, ont dans ces six derniers mois obtenu 228 mois de prison. Mais le mouvement se développe, il n’est pas un village où il n’ait des adhérents, le Neuer Sozial-Demokrat compte 21.000 abonnés, et il existe beaucoup d’autres organes socialistes, qui ont également un cercle de lecteurs très étendu. Les ouvriers allemands ne se trouvent pas d’accord avec les ouvriers d’autres pays sur tous les moyens d’action, mais ils veulent le même but, l’émancipation complète des travailleurs. Le gouvernement, en employant de plus en plus la répression violente, les contraindra à agir par la force, et ils sauront le faire.

« Le délégué de la Fédération espagnole, Gomez [Farga], a présenté un rapport