Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/257

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« Mais comment pourrions-nous ne pas appeler cela[1] l’État ? Quoi, parce que telle institution a toujours été défectueuse dans son organisation, parce qu’elle n’a jamais servi jusqu’à présent que d’auxiliaire à l’exploitation des masses, faut-il pour cela dire qu’on en veut l’abolition, et cela tout en reconnaissant la nécessité de la reconstituer sur des bases conformes aux idées nouvelles ? Parce que l’enseignement public n’aurait eu pour but jusqu’à présent que d’inculquer des préjugés aux masses et de fournir en même temps un moyen d’oppression et d’exploitation aux classes privilégiées, faut-il vouloir l’abolition de l’enseignement public ? Parce que l’industrie a été jusqu’aujourd’hui un moyen d’enrichir de plus en plus le riche et d’appauvrir de plus en plus le pauvre, faut-il prêcher l’anéantissement de l’industrie ? »

Et voici la réplique des fédéralistes à l’objection de la Section de Bruxelles :

« Vous êtes dans l’erreur en disant que nous voulons l’abolition de l’État tout en reconnaissant la nécessité de le reconstituer sur des bases conformes aux idées nouvelles. Nous voulons l’abolition de l’État, certainement, et nous entendons par là l’abolition du gouvernement et du régime politique, — chose que vous voulez comme nous, vous l’avez dit, — mais nous n’entendons pas le moins du monde reconstituer ensuite cet État sur des bases nouvelles. L’État restera bel et bien aboli, le gouvernement ne renaîtra pas de ses cendres : la société nouvelle que nous voulons constituer (et non reconstituer) n’aura plus rien de commun avec l’État, parce qu’elle n’aura plus de gouvernement, plus d’institutions politiques[2]. Pourquoi voudriez-vous donc que nous persistions à baptiser cette nouvelle organisation du même nom qui servait à désigner l’organisation opposée ? Si, prenant un carré, vous en arrondissiez les coins de manière à en faire un cercle, et que vous disiez ensuite que la figure qui résulte de cette opération est encore un carré, mais un carré rond[3], vous feriez justement

  1. « Cela » c’est-à-dire la Fédération des communes et son administration publique. (Note du Bulletin.)
  2. Sans m’en douter alors, je me trouvais d’accord avec le Karl Marx de 1847 ; car celui-ci avait écrit dans son livre français la Misère de la philosophie, que je ne lus que beaucoup plus tard : « Est-ce à dire qu’après la chute de l’ancienne société, il y aura une nouvelle domination de classe, se résumant dans un nouveau pouvoir politique ? Non. La classe laborieuse substituera à l’ancienne société civile une organisation qui exclura les classes et leur antagonisme, et il n’y aura plus de pouvoir politique proprement dit, puisque le pouvoir politique est précisément le résumé officiel de l’antagonisme dans la société civile. » (P. 177.) Engels, de son côté, devait nous donner raison dans son livre contre Dühring, publié en 1878, où il s’exprime ainsi : « À l’instant même où l’État cesse d’être le représentant d’une classe pour devenir celui de la société tout entière, il est devenu superflu. Dès qu’il n’est plus nécessaire de maintenir dans l’oppression une classe de la société,… il n’y a plus rien à réprimer, rien qui rende nécessaire l’existence d’un pouvoir répressif, de l’État… L’État n’est pas aboli : il meurt et disparaît. L’expression de Volksstaat, d’État populaire, a eu sa raison d’être à un moment donné pour les besoins de la propagande ; mais elle ne répond pas à une réalité, et il faut en reconnaître l’insuffisance scientifique (wissenschaftliche Unzulänglichkeit). »
  3. De Paepe aurait pu me répondre que c’est là précisément la définition que les géomètres donnent du cercle, en l’appelant « un polygone d’un nombre infini de côtés infiniment petits », et s’autoriser de cette conception pour continuer à baptiser État la société sans autorité, comme les géomètres continuent à baptiser polygone une surface dont la périphérie est dépourvue d’angles.