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Cafiero continuait à mener à la Baronata, avec sa Lipka, une existence d’anachorète, interrompue au printemps de 1875 par un voyage en Italie. Il avait auprès de lui un ouvrier italien réfugié dans le Tessin après l’insurrection d’août 1874, Filippo Mazzolli, de Bologne, et sa femme Mariella ; Cafiero travaillait là comme un paysan, s’occupant lui-même à traire les vaches, à porter le fumier, à couper le bois. Quant à Ross, il quitta l’Angleterre en avril 1875 et se rendit à Paris, où il passa trois mois en compagnie de Kraftchinsky, de Klements et de Pisaref, qui séjournaient alors dans cette ville.




XII


De juin à septembre 1875.


D’Espagne, Rafaël Farga continuait à nous envoyer de temps à autre des correspondances que publiait le Bulletin. Dans celle du numéro du 8 août, il dit : « Les emprisonnements et les déportations continuent à être à l’ordre du jour ; jusqu’à présent, toutefois, nos gouvernants se sont bornés à envoyer les déportés aux presidios d’Afrique et des îles Canaries : c’est là qu’on expédie ceux qu’on appelle libéraux ; quant aux carlistes, on les interne à Estella (Navarre), c’est-à-dire dans la capitale même du territoire dont ils sont les maîtres. La chose ne laisse pas que d’être curieuse : je crois que c’est la première fois qu’un gouvernement, pour châtier des insurgés, les envoie précisément dans la région où l’insurrection domine... Malgré l’arbitraire sous lequel nous vivons, il y a eu ces jours derniers quelques grèves. À Grenade, on signale une grève des tisseurs ; on a emprisonné cent quarante des grévistes, mais les autres sont restés fermes et tiennent bon. Les cylindreurs et apprêteurs de Barcelone ont obtenu une augmentation de deux francs par semaine ; les charpentiers et les ouvriers en toiles imprimées (peones de estampados) sont aussi en grève, et ces grèves promettent de durer, car les patrons se sont coalisés : vingt ouvriers charpentiers, de ceux qui formaient le comité, ont été arrêtés. »

Dans une autre lettre publiée le 10 octobre, on lit : « Depuis ma dernière lettre, la grève des charpentiers et celle des peones de estampados de Barcelone ont continué, malgré la coalition des patrons de ces deux métiers. Les tisseurs de Grenade continuent également la grève. Les arrestations sont toujours à l’ordre du jour ; et ceux qu’on arrête restent souvent en prison toute une année sans voir venir le jugement ; c’est ce qui arrive, par exemple, à plusieurs ouvriers de Cadix, arrêtés en juillet 1874 sous l’inculpation d’association illicite (parce qu’ils faisaient partie de l’Internationale, selon le ministère public) : ils attendent encore leur jugement. Deux autres ouvriers, arrêtés à Madrid pour le même motif, ont été envoyés rejoindre ceux de Cadix ; et, comme si le chemin de fer n’existait pas, on leur a fait faire à pied, conduits d’un poste à l’autre par la gendarmerie, ce trajet de plus de sept cents kilomètres.

« Le crime du Saint-Gothard[1] a excité une grande indignation parmi les travailleurs espagnols ; ils auraient envoyé aussi leur obole pour les victimes, s’ils n’avaient pas chez eux, en ce moment, tant de misères à soulager et tant de compagnons persécutés qu’il faut secourir. »

Il avait été décidé en septembre 1874, au Congrès général de Bruxelles, que le Congrès général de 1875 se tiendrait à Barcelone, si les circonstances le permettaient. En juillet 1875, la Fédération espagnole fit savoir au Bureau fédéral (siégeant au Locle) qu’il ne serait pas possible de tenir un Congrès en Espagne, et l’invita à soumettre aux autres fédérations la proposition de supprimer le Congrès de 1875, auquel ni l’Espagne ni la France n’eussent probablement pu se faire représenter, et auquel l’Italie avait annoncé d’avance (par

  1. Voir plus loin, p. 296.