Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/351

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je le considérais comme l’un des meilleurs héros de la lutte pour la liberté, comme l’ont considéré et le considèrent encore tant d’étudiants russes. Je lui envoyai aussitôt vingt-cinq thalers, et en même temps je m’adressai, par l’intermédiaire d’un de mes amis de Pétersbourg, à un éditeur pour lui demander du travail pour Bakounine. On décida de lui confier la traduction de votre livre. On lui promit douze cents roubles[1] pour la traduction. Sur son désir, il lui fut envoyé par mon intermédiaire tout un ballot de livres dont il avait besoin comme auxiliaires pour la traduction ; en même temps il lui fut payé d’avance, également sur sa demande, trois cents roubles. Le 28 septembre 1869, j’expédiai ces trois cents roubles de Heidelberg (où je m’étais transporté dans l’intervalle) à l’adresse d’un certain Charles Perron à Genève, et le 2 octobre je reçus un récépissé de cette somme de Bakounine lui-même.

Le 2 novembre, Bakounine m’écrit de Locarno qu’il est maintenant délivré enfin de l’action politique excessive, et que « demain » il va se mettre à la traduction. Tout le mois de novembre se passa, sans que je reçusse un seul feuillet de manuscrit. Ensuite, à la fin de novembre, ou plus exactement au commencement de décembre, je lui demandai, à la suite d’une lettre reçue par moi de Pétersbourg, s’il désirait continuer ou non. Malheureusement je n’ai pas gardé copie de cette lettre ; c’est pourquoi je ne puis pas dire exactement comment je lui écrivis alors. Autant que je puis me rappeler, mon ami de Pétersbourg, celui par l’intermédiaire de qui j’étais en rapport avec l’éditeur, m’avait écrit que si Bakounine ne voulait pas faire la traduction, il n’avait qu’à le dire franchement, au lieu de traîner la chose en longueur ; quant aux trois cents roubles, on pourra toujours s’entendre. J’écrivis dans ce sens à Bakounine, et je reçus une réponse le 16 décembre. Il commence sa lettre en m’expliquant que s’il ne m’avait pas écrit pendant si longtemps (la dernière lettre reçue par moi était datée du 2 novembre), c’était « en partie » parce que j’avais été très grossier avec lui (non pour la traduction, mais au sujet d’une autre affaire[2]). Puis il continue : « Comment avez-vous pu vous imaginer qu’après m’être chargé de ce travail, et même avoir touché une avance de trois cents roubles, j’allais tout à coup y renoncer ? » Il déclare qu’il a fondé tout son budget d’une année sur ce travail ; seules des circonstances absolument indépendantes de lui l’ont empêché d’aborder sérieusement la traduction avant le commencement de décembre[3]. Il doit ajouter aussi que le travail dont il s’est chargé est beaucoup plus difficile qu’il ne le croyait. Ensuite il parle des différentes difficultés de la traduction. Je ne vous en citerai qu’une seule, parce que je soupçonne que Bakounine a tout simplement menti. Il cite la

  1. J’avais cru, et je l’ai écrit au tome Ier, p. 260, que le prix de la traduction avait été fixé à neuf cents roubles seulement.
  2. Il est regrettable que M. Lioubavine n’ait pas dit quelle est cette autre affaire à propos de laquelle il avait déjà été « grossier » : les grossièretés venaient aisément sous sa plume.
  3. On comprend que M. Lioubavine ait écrit, plus haut, que les « preuves » qu’il a entre les mains ne prouvent rien de ce que désirait Marx. Comment celui-ci pourra-t-il s’y prendre pour extraire une accusation d’escroquerie et de chantage d’une correspondance où la bonne foi de Bakounine se manifeste avec une évidence si éclatante ?