Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/384

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autorités municipales, le meeting de propagande du lendemain après-midi ne pourrait avoir lieu : la commission d’organisation avait loué à cet effet la grande salle de la Tonhalle ; au dernier moment, le propriétaire s’était ravisé et avait voulu annuler la promesse de location et rendre l’argent qu’il avait touché d’avance ; puis, la commission ayant déclaré que la Section de Lausane entendait user du local qu’elle avait loué et payé, le propriétaire lui avait fait signifier, par le juge de paix, défense expresse d’entrer chez lui ; et le syndic (maire) avait interdit de poser les affiches qui devaient annoncer le meeting.

De nombreux télégrammes et des lettres de France furent lus au banquet, témoignant que l’idée révolutionnaire n’était pas morte dans le pays qui avait le premier vu flotter le drapeau de la Commune.

La séance d’études du dimanche matin eut lieu dans une salle de l’hôtel du Guillaume Tell ; elle fut occupée par un échange d’idées sur ce sujet : La Commune, envisagée tant au point de vue historique et critique, que comme base d’une nouvelle organisation sociale. « Parmi les orateurs qui prirent la parole, — dit le compte-rendu du Bulletin, — nous citons de mémoire Paul Brousse, Élisée Reclus, Adhémar Schwitzguébel, Joukovsky, Lefrançais, James Guillaume, Perrare. Cette discussion, du plus haut intérêt, et où, sauf une légère divergence théorique sur un point[1], un accord complet put être constaté entre tous ceux qui émirent leur opinion, donna aux assistants la mesure des progrès accomplis depuis deux ou trois ans dans l’élaboration des théories socialistes. La publication du compte-rendu sténographique de cette séance sera certainement une chose très utile, et nous en recommandons vivement la lecture à tous ceux qui veulent étudier sérieusement le but et les moyens de la révolution. Deux travaux écrits, l’un signé B. Malon et Joseph Favre, l’autre signé Félix Pyat, avaient été reçus ; ils seront imprimés à la suite du compte-rendu[2]. Pendant le déjeuner en commun qui suivit la séance, il fut donné lecture d’une lettre d’Espagne, et chacun fut frappé de l’identité des principes exposés dans cette lettre et de ceux qui avaient été développés dans la séance du matin. »

Bien qu’on eût renoncé, faute de local, au meeting projeté, il se trouva que l’après-midi, vers deux heures, un certain nombre d’ouvriers et de curieux se réunirent, sans convocation autre que le bruit public, dans la salle où avait eu lieu la séance du matin : il fut décidé alors d’y tenir un meeting improvisé[3]. « Divers orateurs exposèrent, aux applaudissements des ouvriers présents, les principes de l’Internationale : nous devons citer entre autres un magnifique discours d’Élisée Reclus, et une causerie humoristique de Joukovsky, dans laquelle ce dernier, tout en exposant avec beaucoup de clarté les différents points du programme socialiste, dit leur fait à la municipalité de Lausanne et à son syndic avec une verve qui enleva l’auditoire, y compris les curieux bourgeois. » (Bulletin.)


Pendant que des membres de l’Internationale et des réfugiés de la Commune

  1. Cette « légère divergence théorique » consistait en ceci, que Lefrançais et Joukovsky avaient, à propos de la Commune future, exposé et défendu la théorie de l’État transformé en administration des services publics (dans le sens du rapport belge présenté au Congrès de Bruxelles en 1874, et de l’article publié par Lefrançais dans l’Almanach du peuple pour 1874 sous le titre de Politique socialiste), et que cette théorie avait été combattue par Élisée Reclus et Paul Brousse.
  2. Il fallut renoncer à la publication de ce compte-rendu, parce que, dit le Bulletin, « la discussion avait été recueillie par le sténographe d’une manière trop imparfaite pour que l’impression du compte-rendu fût possible ». Le travail de Malon et de Joseph Favre fut inséré dans les n° 18 et 19 du Bulletin, la lettre de Félix Pyat parut dans le n° 21.
  3. Parmi les assistants se trouvaient quelques étudiantes russes, entre autres la plus jeune des trois sœurs Figner, Eugénie, qui six ans plus tard (1882), exilée en Sibérie, à Kirensk, devait y épouser mon ami Ross. Ross, lui aussi, venant de Lugano par Locarno et le Simplon (t. III, p. 321), était présent à cette réunion.