Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/396

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« Conférences comarcales[1] », plus faciles à organiser clandestinement. Le Bulletin du 11 juin publia l’ordre du jour (communiqué par la Commission fédérale espagnole au Comité fédéral jurassien) des conférences de 1876, qui devaient avoir lieu en juillet et août ; cet ordre du jour portait entre autres : Lecture du rapport de la Commission fédérale ; revision des statuts ; nomination de la Commission fédérale et des commissions comarcales ; nomination éventuelle des délégués espagnols pour le prochain Congrès général de l’Internationale. « L’organisation de l’Internationale en Espagne, ajoutait le Bulletin, devenue forcément secrète puisque le gouvernement lui a interdit la publicité, est restée debout et fonctionne avec la même régularité qu’à l’époque où elle était publique. »

Une correspondance nous donna des nouvelles des déportés des îles Mariannes, dont la condition était des plus tristes, et des détenus impliqués dans les événements d’Alcoy, qui attendaient leur procès sans même savoir de quoi ils étaient accusés. « Les déportés de l’île du Corrégidor reçoivent une maigre ration alimentaire, consistant en un demi-kilogramme de riz avec du sel et de l’eau. Mais ceux qui sont aux Mariannes proprement dites, d’après le rapport des journaux ministériels eux-mêmes, ne reçoivent aucun aliment, et sont obligés de soutenir leur triste existence avec le produit de leur pêche et en arrachant des racines sauvages... Il y a plus de cinq mille ouvriers espagnols qui sont à cette heure emprisonnés ou déportés, et cela sans jugement ; et le ministre Canovas a déclaré que ceux qui étaient en prison y resteraient. Malgré tant d’obstacles, nous continuons à marcher d’une façon satisfaisante... Notre journal clandestin el Orden a des lecteurs toujours plus nombreux ; le prochain numéro se tirera à 2500 exemplaires. Si l’on tient compte des difficultés de l’expédition, et des frais qu’occasionne la nécessité où nous sommes d’envoyer le journal sous enveloppe fermée, on verra, par le résultat obtenu, qu’il existe chez les ouvriers espagnols un bon esprit et un grand désir de faire quelque chose pour la cause. »

Dans les derniers jours de mai parut à Barcelone une traduction de la Première série de mes Esquisses historiques. C’était Albarracin qui avait d’abord été chargé par nos amis de traduire ce petit livre en espagnol ; mais il y renonça, et ce fut Villas qui le remplaça, sous le pseudonyme de « G. Omblaga, doctor en ciencias ».


Le procès de Bologne dura encore un mois à partir du mercredi 17 mai, jour où commencèrent les plaidoiries des avocats. Les deux premiers qui parlèrent furent Barbanti et Ceneri, les défenseurs de Costa. Barbanti se déclara internationaliste, et affirma sa solidarité avec les accusés. Ceneri, rappelant la qualification de malfattori qui avait été appliquée aux membres de l’Internationale par les autorités italiennes, prononça cette phrase : « Si j’avais une fille, ou quelque autre chose que je tinsse pour le plus précieux de mes trésors, et que j’eusse à confier cette fille ou ce trésor à quelqu’un, je le confierais au malfaiteur Costa, et non à l’un de vos damoiseaux musqués, souteneurs du trône et de l’autel ». À ces paroles, écrit le correspondant du Bulletin, « le public, bien que composé en grande partie de la bourgeoisie la plus distinguée de Bologne, a éclaté en applaudissements irrésistibles et prolongés. Ce n’est qu’au bout d’un long moment que le président a pu faire entendre sa voix, pour déclarer que, si ces marques d’approbation se renouvelaient, il ferait évacuer la salle. » La plupart des autres défenseurs, Gozzi, Cenni, Busi, Rossi, Venturini, etc., pendant une longue suite d’audiences, flagellèrent énergiquement le gouvernement. Le procès fut interrompu, le 29 mai, par la célébration du septième

  1. Les statuts de la Fédération espagnole, revisés en 1875, divisaient la Fédération régionale en neuf fédérations « comarcales », administrées chacune par une commission comarcale. Les neuf « comarques » (comarcas) étaient : Catalogne, Valence, Murcie, Andalousie de l’Est, Andalousie de l’Ouest, Estrémadure, Aragon, Vieille-Castille, Nouvelle-Castille.