Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/413

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athée et anti-autoritaire, au champion du socialisme populaire en Italie. Paul Brousse a parlé ensuite au nom de la jeunesse révolutionnaire française, qui se rattache aux idées dont Bakounine a été le représentant le plus éloquent. Enfin un ouvrier de Berne, Betsien, a adressé en allemand un dernier adieu à celui dont la vie entière fut consacrée à la sainte cause de l’émancipation du travail.

Trois couronnes furent déposées sur le cercueil, au nom des trois sections de langue française, allemande et italienne que l’Internationale compte à Berne.


Adolphe Reichel, qui était présent, dit dans sa lettre des 6-7 juillet : « L’enterrement s’est fait lundi 3 juillet, quatre heures de l’après-midi. Beaucoup de députations de différentes sociétés socialistes ont été présentes. Près de sa tombe on a dit six ou sept discours, la plupart en langue française, un en italien et un en allemand. Beaucoup de Russes, même plusieurs étudiantes, suivaient le cercueil. »

Une étudiante russe, dans une lettre au Vpered de Londres, a raconté, elle aussi, les obsèques de son grand compatriote ; de cette lettre, j’extrais un passage qui donnera une idée de l’impression produite sur les assistants par cette émouvante manifestation de douleur et de sympathie :


Un petit groupe seulement avait eu le temps de se réunir. Il y avait là des anciens amis, abattus par le chagrin ; il y avait des hommes qui avaient partagé avec Bakounine des dangers à des moments divers et en divers lieux ; il y avait la jeunesse pour laquelle il avait été un maître ; il y avait des hommes qui ne partageaient pas ses opinions, qui se trouvaient dans le camp opposé, qui avaient lutté contre ses adhérents ; mais, dans cette minute, amis et étrangers, camarades des anciens combats et jeunes gens qui se précipitent vers des combats nouveaux, alliés et adversaires, tout cela était confondu ; il y avait seulement un groupe d’hommes qui ensevelissaient une force historique, le représentant d’un demi-siècle de mouvement révolutionnaire. Et ce petit groupe sentait derrière lui, invisible et innombrable, la masse des hommes de tout pays qui, en esprit, assistaient aux obsèques de celui dont la vie avait été mêlée à la vie universelle. Les discours commencèrent ; n’exigez pas que j’en fasse l’analyse ; vous les lirez probablement dans le Bulletin. Que sont d’ailleurs des paroles ? Il fallait être présent, il fallait sentir l’étincelle électrique qui se communiquait aux auditeurs. C’est l’état d’âme des assistants qui donnait aux discours leur pleine signification ; je pourrai vous en redire, brièvement et sèchement, les pensées essentielles : mais c’est à vous d’essayer de vous représenter, si vous pouvez, ce qu’on sentait et ce qu’on pensait : ce que sentaient ceux qui parlaient, et dont les larmes étouffaient quelquefois la voix ; ce que pensaient les auditeurs, devant lesquels repassait toute la vie de l’illustre mort.


Je reprends le récit du Bulletin, qui continue en ces termes :


Après la cérémonie, une réunion eut lieu au local du Sozialdemokratischer Verein. Là, un même vœu sortit de toutes les bouches, allemandes, italiennes, françaises et russes : l’oubli, sur la tombe de Michel Bakounine, de toutes les discordes purement personnelles, et l’union, sur le terrain