Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/446

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devoir donner sa voix à cette décision, parce qu’il faut, autant qu’il est possible, maintenir l’unité d’action entre les travailleurs ; mais je doute fort que cette opinion trouve un écho à Verviers ». (Bulletin du 15 octobre.) Enfin il adopta une proposition sur l’origine de laquelle je ne suis pas suffisamment renseigné : celle de la convocation d’un Congrès universel des socialistes, qui aurait lieu en Belgique en 1877. À ce Congrès universel seraient admis les délégués des diverses organisations socialistes, « que ces dernières fussent des branches de l’Internationale, ou qu’elles existassent en dehors de cette association ». Le but de ce Congrès serait « de cimenter, le plus étroitement possible, un rapprochement entre les diverses organisations socialistes et de discuter des questions d’un intérêt général pour l’émancipation du prolétariat ». Le Bureau fédéral de l’Internationale fut invité à inscrire cette proposition à l’ordre du jour du futur Congrès général ; et le délégué belge à ce Congrès reçut le mandat d’en recommander l’adoption à toutes les Fédérations qui y seraient représentées.

Lorsque j’appris ce qui s’était passé au Congrès d’Anvers, je ne vis, dans la proposition belge de réunir en un Congrès universel des délégués de toutes les organisations socialistes, qu’une tentative louable pour rapprocher les uns des autres tous les partisans de l’émancipation du travail, tentative inspirée, pensais-je, par le même esprit de conciliation qui avait porté les Jurassiens à tendre la main au Parti de la démocratie socialiste d’Allemagne. Je compris plus tard — plusieurs mois après le Congrès de Berne — qu’il y avait autre chose : l’attitude des meneurs du Parti socialiste flamand qui se constitua en 1877 m’ouvrit les yeux. Il y avait des gens qui voulaient détruire l’organisation de l’Internationale : et c’étaient ces gens-là qui avaient lancé l’idée du « Congrès socialiste universel », pour en faire contre l’Internationale une machine de guerre.


En Russie, le mouvement socialiste allait grandissant malgré les persécutions. Le journal Czas annonçait qu’en Ukraine, par exemple, le socialisme avait trouvé accès dans toutes les classes de la société : « les juges eux-mêmes en sont infectés, et des brochures spéciales répandent la doctrine subversive parmi les paysans ».

Deux ouvriers, Ossipof et Abramenkof, avaient été traduits devant le Sénat sous la prévention d’avoir propagé des écrits d’un contenu criminel : Ossipof fut condamné à neuf ans de travaux forcés ; l’autre accusé, contre lequel aucun fait ne put être établi, reçut quinze jours de prison. « Ce fut — écrivait un correspondant russe au Zeitgeist de Munich — le premier procès où les accusés et tous les témoins appartenaient exclusivement à la classe ouvrière, où nul représentant des classes dites cultivées ne se trouvait mêlé. L’attitude des accusés a été digne au plus haut point, et ils ont fait réellement honneur à leur cause. »

Les hostilités entre la Serbie et la Turquie, et les atroces massacres de Bulgarie, qui soulevèrent dans toute l’Europe, et spécialement en Angleterre, des protestations indignées, devaient amener, au printemps de 1877, le gouvernement russe à déclarer la guerre au sultan ; les événements d’Orient, en occupant les esprits en Russie, détournèrent pour quelque temps une partie de la jeunesse de l’action socialiste. Pierre Kropotkine, qui venait de s’installer provisoirement à Londres, nous adressa un article À propos de la question d’Orient, que publia le Bulletin du 24 septembre : « Nos socialistes russes, écrivait-il, ont aussi été entraînés par le mouvement. Je comprends cet élan. Il est impossible de lire quotidiennement le récit des massacres, et de savoir que ce peuple massacré comptait sur le soutien des Russes, sans être entraîné... Les journaux anglais sont remplis de comptes-rendus des meetings qui se tiennent chaque jour par dizaines pour exprimer leur horreur des massacres turcs et pour forcer le gouvernement anglais (tory) à changer d’attitude dans la question slave. C’est vraiment avec dégoût que je lis journellement ces comptes-rendus. Il n’y a rien de plus révoltant que de voir la manière dont un mouvement, né des sentiments les plus purs, les plus humains de la classe ouvrière, est exploité dans son propre intérêt égoïste par le parti bourgeois libéral. »