Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/45

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le droit de s’organiser comme bon leur semblait, d’accord avec les principes généraux qui étaient leur loi commune.

Personne ne trouvait à redire à cette organisation, et la grande Association internationale des ouvriers prospérait.

Mais, par un manque de sagesse, on créa un Conseil général avec pouvoir de s’ingérer dans les affaires des Conseils fédéraux et des sections. Il en est résulté une guerre furieuse de rivalités nationales, de suspicions et de calomnies personnelles. Le Conseil général a oublié les principes, les a répudiés, et ne s’occupe plus maintenant que de la tâche de gouverner avec une autorité suprême.


En conséquence, Ward déclarait qu’il ne voulait pas faire partie d’une institution aussi contraire à l’esprit de l’Internationale, et que, loin de se tenir pour honoré de sa nomination, il avait des raisons de croire que son nom n’avait été introduit dans la liste des élus que par des motifs de stratégie, qu’il était de son devoir de déjouer en disant publiquement toute sa pensée à ce sujet.


On a vu que la majorité du Congrès de la Haye n’avait élu que douze membres du nouveau Conseil général, et avait stipulé que ce Conseil serait tenu de s’adjoindre lui-même trois autres membres (voir t. II, p. 343) : cette mesure, dans l’intention de ceux qui la firent voter, avait pour but de permettre l’entrée de Sorge au Conseil ; et, en effet, dès sa première séance, le nouveau Conseil s’adjoignit Sorge et lui remit les fonctions de secrétaire général. Une fois constitué, le Conseil lança une circulaire ou adresse datée du 20 octobre, et rédigée par Sorge, dans laquelle il annonçait entre autres que, par une décision du Congrès de la Haye, « l’action politique avait été rendue obligatoire », action qui devait être menée sous la direction suprême du Conseil général (voir le discours de Sorge à la Haye, t. II, pages 337-338), et que les sections auraient à consulter le Conseil général « avant d’engager l’Association dans une action publique et avant d’entrer dans de nouveaux champs d’activité[1] ».

  1. Cette circulaire ou adresse, que je ne connais que par quelques extraits, jeta Engels et Marx dans un embarras comique, dont Engels fit part à Sorge dans une lettre du 16 novembre 1872. L’adresse, rédigée en anglais et en français par un Allemand peu lettré, était pleine, paraît-il, de fautes de langage qui la rendaient ridicule ; et comme Sorge, dans son inconscience, avait expédié son œuvre telle quelle au Conseil fédéral anglais, qui était en guerre ouverte avec Marx. Engels avait tremblé que ce Conseil fédéral, pour jouer un bon tour à Sorge, ne fît imprimer l’adresse avec ses grotesques incorrections ; aussi confectionna-t-il lui-même une copie, corrigée, du document, et c’est sous cette forme qu’il le communiqua à l’organe de l’Internationale en Angleterre, l’International Herald ; il chargea en outre Serraillier de revoir la version française. « Je craignais, écrit Engels à Sorge, que le Conseil fédéral anglais ne supprimât l’adresse, ou bien que, pour en faire des gorges chaudes, il la fît imprimer mot à mot avec ses fautes de grammaire et ses germanismes (mit verschiedenen englischen Sprachfehlern und starken Germanismen, um Spott damit zu freiben). J’ai naturellement corrigé cela, car, telle qu’elle était, l’adresse n’était pas imprimable, ni en anglais ni en français. Ici, pour des documents de ce genre, nous avons toujours fait corriger nos fautes par quelqu’un du pays (von irgend einem gebildeten native korrigieren lassen.) Il faudra que tu procèdes ainsi à l’avenir, car souvent il n’est pas possible de changer quelque chose dans un document officiel, même pour y corriger de ces erreurs grammaticales qui sont toujours fâcheuses. Pour Hales, pour les Jurassiens, etc., toutes les bévues de ce genre les mettraient en joie. » — Dans une note de son livre, Sorge reproduit un passage d’une réponse qu’il fit à Engels à ce sujet (6 décembre 1872) : « Nous n’avons malheureusement pas, écrivait-il, un Marx ni un Engels parmi nous, et c’est justement pour cela que nous n’avons accepté qu’avec quelque appréhension le transfert du Conseil général à New York. Du reste, nous sommes d’avis que ce n’est pas la forme qui est la chose la plus importante, mais le fond. Si le fond est intelligible, des lecteurs ouvriers ne se formaliseront pas de quelques petites incorrections de langage. » Malheureusement, dans les élucubrations de Sorge, le fond ne valait pas mieux que la forme.