Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/518

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La journée a été bonne pour l’Internationale. L’impression dominante du public bourgeois, nous a-t-on dit, était celle de l’étonnement ; on se figurait que des socialistes ne pourraient dire que des bêtises, et qu’il suffirait du premier Friche ou du premier Dupasquier venu pour réduire à néant leurs théories insensées ; et l’on s’est aperçu, au contraire, que les socialistes savaient raisonner, et même raisonner serré.

Il s’est vendu, pendant le meeting, un nombre considérable de brochures de propagande, et cent exemplaires du Bulletin ont été distribués.

Le Pays (le journal clérical de l’endroit) a trouvé mauvais que le citoyen Georges Plumez, ouvrier horloger et membre du Conseil communal de Porrentruy, ait rempli les fonctions de président du meeting. « On s’étonnait généralement, dit ce journal, de voir un membre du Conseil communal se mettre ainsi en évidence à la tête d’une manifestation socialiste. » Qu’il nous soit permis de dire au Pays, qui probablement l’ignore, que le citoyen Plumez est un socialiste de vieille date, et que, longtemps avant de siéger dans un Conseil communal quelconque, il était membre de l’Internationale, qu’il a contribué à fonder au Locle en 1866. Il est resté fidèle à ses convictions : cela lui fait honneur. Et si cela déplaît au Pays, tant mieux.


Le lendemain de l’assemblée. Brousse, qui avait affaire en France, où il voulait visiter des sections de l’Internationale, devait traverser la frontière à pied. Porrentruy avait alors pour préfet un radical très rouge, nommé Stockmar, qui faisait volontiers des avances et des politesses aux communards. Ayant appris, je ne sais comment, le projet de Brousse, il lui proposa, pour mieux dépister la police versaillaise, de le faire accompagner jusqu’à la limite du territoire suisse par un gendarme, qui lui indiquerait les sentiers les plus sûrs. Ce fut donc sous la bienveillante conduite d’un « Pandore » bernois habillé en civil, et plein de sollicitude pour le propagandiste révolutionnaire, que Brousse, pour la première fois depuis 1872, franchit, le 8 janvier 1877, la frontière du pays où régnait Mac-Mahon.

Quant à Adhémar et à moi, nous quittâmes Porrentruy par la diligence qui passait à Sainte-Ursanne, Undervelier, Bellelay, Tramelan, pour regagner Sonceboz, où nous nous séparâmes. Nous eûmes pour compagnon de voyage un monsieur fort aimable et fort instruit, avec qui nous causâmes de mille choses diverses : c’était M. Auguste Favrot, — juge au tribunal cantonal bernois, et beau-frère de l’ « historien national » Alexandre Daguet (lequel avait été le prédécesseur de M. Friche à l’école normale de Porrentruy), — qui se rendait à Berne. L’ancienne abbaye de Bellelay, où s’arrêta le postillon pour changer de chevaux, m’intéressait à cause des écoles qu’y avait fondées dans le dernier tiers du dix-huitième siècle l’abbé philosophe Nicolas Deluze : et cela nous amena à échanger tous les trois des vues sur l’éducation. Lorsque M. Favrot prit congé de nous, nous lui dîmes qui nous étions, et je crus m’apercevoir qu’il n’en fut pas médiocrement étonné.


Quinze jours plus tard, pour relever un peu leur prestige sensiblement atteint, les libéraux de Porrentruy convoquaient à leur tour une assemblée pour y traiter de la question sociale. L’éminent pédagogue Friche y présenta un rapport que publia le Progrès de Delémont, et que le Bulletin discuta en ces termes :


Nous remarquons entre autres, dans le rapport de M. Friche, ce passage : « Pourquoi la plupart des porte-drapeau des études sociales actuelles se restreignent-ils à ne considérer que les rapports du patron et de l’ouvrier, que le seul prolétariat, quand il y en a de bien plus graves et qui ont une