Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/548

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solidaire de ses camarades, et a déclaré que c’est lui qui a frappé l’inspecteur.

Les tribunaux bourgeois ont rarement vu de semblables coupables et de pareils accusés.

Le procès intenté aux internationaux jurassiens à propos de la manifestation du 18 mars à Berne est encore dans les limbes de l’enquête. La Tagespost, journal libéral de Berne, publiait à ce sujet, le 13 mai, les lignes suivantes :

« On annonce que le juge d’instruction de Berne n’a pas encore pu achever l’enquête sur l’affaire du drapeau rouge, parce que tous les jours des membres de la Fédération jurassienne continuent à se dénoncer volontairement comme coupables. Cela montre combien ces gens sont exaltés, et comme ils aspirent à la couronne du martyre. »

La couronne du martyre n’a rien à voir là-dedans ; les internationaux du Jura font acte de solidarité, voilà tout[1].

Pendant que les autorités républicaines du canton de Berne prétendent dénier aux socialistes le droit d’arborer le drapeau de leur parti, on fait librement dans la Belgique monarchique et cléricale ce qui est interdit à Berne.

À l’occasion du Congrès ouvrier belge de Gand, qui a eu lieu le dimanche de Pâques, un cortège de dix mille ouvriers a parcouru les rues de la vieille cité gantoise, drapeau rouge en tête, et personne n’a songé à contester aux manifestants le droit d’arborer la couleur qui leur est chère.

Oh, nos sublimes libertés républicaines !


Voici mon sentiment personnel sur le résultat produit par la manifestation de Berne, tel que je le retrouve dans une lettre écrite par moi de Neuchâtel à Kropotkine le 27 mars :


Ici, l’impression produite par l’affaire de Berne me semble plutôt mauvaise que bonne ; cela paraît avoir intimidé plusieurs de nos membres. Quant aux Allemands de l’Arbeiterbund, ils jettent feu et flamme contre nous ; ils ne regrettent qu’une chose, c’est qu’on ne nous ait pas tous sabrés à Berne comme nous le méritions.

Théoriquement, je doute qu’avec une population comme la nôtre, des manifestations de ce genre aident à la propagande. À Neuchâtel, du moins, elles nous font plutôt reperdre le peu de terrain que nous avions gagné. Il est vrai que ce terrain était si peu sûr, que ce n’est pas grand dommage.

  1. Naturellement, j’écrivis, moi aussi, au juge d’instruction de Berne pour lui dire que j’avais participé à la manifestation ; et je fus cité à comparaître devant le juge d’instruction de Neuchâtel. — Par contre, un silence absolu fut gardé sur la présence à la manifestation de ceux de nos camarades qui étaient étrangers à la Suisse, et qui auraient pu, par conséquent, être arrêtés et expulsés (à l’exception, bien entendu, de ceux dont l’intervention active était déjà connue comme c’était le cas pour Brousse, Werner et Rinke) : aussi ni Pindy, ni Ferré, ni Jeallot, ni Baudrand, ni Gevin, ni Albarracin, ni Kropotkine, ni Lenz, ni Plekhanof, ne furent inquiétés.