Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/647

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taient huit pays différents ; tandis que, sur les seize voix qui s’étaient prononcées pour la première résolution, il y en avait neuf (plus de la moitié) qui appartenaient à un seul et même pays, la Belgique.

Le vote achevé, on se sépara, en remettant au lendemain la discussion sur la question politique.


J’interromps ici le compte-rendu que j’emprunte au Bulletin, pour expliquer ce que c’était que l’affaire personnelle qui obligea Kropotkine à quitter brusquement le Congrès. Il l’a racontée lui-même dans ses Mémoires, en ces termes :

« Le Congrès de Gand finit pour moi d’une manière inattendue. Trois ou quatre jours après qu’il eut commencé[1], la police belge apprit qui était Levachof, et reçut l’ordre de m’arrêter pour une contravention aux règlements de police que j’avais commise en prenant à mon hôtel un nom d’emprunt. Mes amis belges me donnèrent l’alarme : ils affirmaient que le ministère clérical qui était au pouvoir était capable de me livrer à la Russie, et insistèrent pour que je quittasse le Congrès sur le champ. Ils ne voulurent pas même me laisser retourner à mon hôtel ; Guillaume me barra le chemin, me disant que j’aurais à employer la force contre lui si j’insistais pour rentrer chez moi. Je dus suivre quelques camarades de Gand, auxquels on me confia ; et à peine me trouvais-je avec eux que des appels étouffés et des sifflets partirent de tous les coins d’une grande place obscure sur laquelle étaient épars quelques groupes d’ouvriers. Cela avait un air d’effrayant mystère. Enfin, après beaucoup de pourparlers à voix basse et de coups de sifflets en sourdine, un groupe de camarades m’escorta jusque chez un ouvrier démocrate socialiste, chez lequel je devais passer la nuit, et qui, bien que je fusse anarchiste, me reçut comme un frère, de la façon la plus touchante. Le lendemain matin, je partis une fois de plus pour l’Angleterre, à bord d’un vapeur. »

C’est le mardi soir que nous parvint l’avis à la suite duquel nous obligeâmes Kropotkine à quitter la Belgique. Le Congrès allait rentrer en séance ; je tins conseil avec De Paepe, Brismée, Anseele ; ce dernier fit sur-le-champ appeler un camarade sur, qui se chargea de trouver à Kropotkine une retraite où il pût passer la nuit, en attendant de partir pour Londres, par Ostende, le lendemain à la première heure. Kropotkine et moi nous nous rendîmes avec ce camarade jusqu’à la grande place sombre dont il parlé, et où nous trouvâmes quelques ouvriers de nos amis ; et comme, au dernier moment, il hésitait à se séparer de moi pour suivre ces braves gens, en m’assurant que j’exagérais le danger et que ce départ précipité n’était pas nécessaire, je lui fis la réponse qu’il a rapportée et qui le détermina à céder à mes instances.


Le mercredi matin fut étudiée la seconde question : De l’attitude du prolétariat à l’égard des divers partis politiques. Là, comme sur la question de la propriété, il y avait un point essentiel sur lequel tous les membres du Congrès étaient d’accord, et un autre non moins essentiel sur lequel ils devaient se diviser.

Le point sur lequel l’accord existait, c’est que le prolétariat n’a rien à attendre des partis politiques bourgeois, et qu’il doit les combattre tous. Mais aussitôt se manifesta la dissidence, les uns disant : Pour combattre les partis bourgeois, le prolétariat doit se constituer lui-même en parti politique, et visera s’emparer de l’État ; les autres disant au contraire : Pour combattre les partis bourgeois, le prolétariat doit viser à détruire l’État au moyen d’une révolution sociale, et s’abstenir de participer à la politique parlementaire où il jouera toujours un rôle de dupe.

Un incident assez vif marqua le début de la discussion. Zanardelli donna lecture d’un long rapport écrit en français, émaillé d’antithèses et autres fleurs de rhétorique, et dont plusieurs reconnurent bien vite l’auteur anonyme[2] (car

  1. Kropotkine, en parlant de trois (ou quatre) jours, se trompe d’un jour ou de deux (ou bien de deux jours ou de trois), suivant que l’on considère le Congrès comme ayant commencé le dimanche ou le lundi.
  2. Malon.