Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/667

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déposer un oui dans l’urne en faveur de cette loi sans crainte de voir ses intérêts compromis.

Voilà de quelle nature sont les « progrès » que le parti radical réalise en faveur des travailleurs : il fait une loi pour protéger les ouvriers, mais il ne la vote qu’à la condition formelle que cette loi ne changera rien à ce qui existe.

Est-on bien sûr, néanmoins, que, si la loi sur les fabriques est adoptée, rien ne sera changé aux conditions actuelles du travail dans la région jurassienne, où l’horlogerie forme l’industrie nationale ? Les conditions ne seront pas améliorées, certainement ; mais qui sait si elles ne pourront pas empirer ? Un exemple : le projet de loi fixe la durée normale de la journée de travail à onze heures ; or, il y a chez nous des corporations qui, à force de luttes, ont réussi à imposer aux patrons la journée de dix heures ; quelle figure feraient les ouvriers graveurs si, après l’adoption de la loi, leurs patrons venaient leur dire : Maintenant que la journée normale de travail est légalement de onze heures pour toute la Suisse, il convient de modifier nos conventions et de rétablir aussi chez nous la journée de onze heures ?

Sur quoi s’appuieraient les graveurs pour résister a cette prétention ? Sur leur organisation, et nous espérons qu’ils sauraient maintenir ce qu’ils ont conquis. L’organisation ouvrière, là est la vraie force pour la réalisation des progrès économiques : les textes de loi ne sont que des phrases que les hommes du pouvoir interprètent à leur fantaisie ; l’organisation est le levier qui permettra un jour au peuple travailleur de s’émanciper sans la loi et contre la loi.


La loi fut votée, et je commentai le vote en ces termes dans le Bulletin du 28 octobre :


La loi sur les fabriques a été adoptée dimanche dernier par une petite majorité de votants. Nous allons donc être dotés d’une législation qui devra, disent ses auteurs, améliorer la position économique des ouvriers suisses.

Si les partisans de la loi, et tous ceux qui, de façon générale, croient pouvoir intervenir dans les questions économiques par la voie de réformes législatives, tout en laissant subsister le régime actuel de propriété capitaliste, — si ces gens-là ont raison, dans dix ans la loi aura eu le temps de faire sentir ses heureux effets : l’exploitation des salariés par les fabricants devra avoir diminué ; l’introduction de la journée normale de travail devra avoir mis obstacle à l’avilissement croissant des salaires, et, en même temps, avoir donné à l’ouvrier de fabrique des heures de loisir dont il aura profité pour s’instruire ; enfin les dispositions protectrices relatives aux femmes et aux enfants auront arrêté la dégénérescence de la race...

Eh bien, nous disons ceci : Dans dix ans — à supposer que de grands événements européens ne soient pas venus avant ce terme apporter un changement révolutionnaire dans la société actuelle — dans dix ans, malgré la loi sur les fabriques, l’exploitation du prolétariat par la bourgeoisie aura encore augmenté ; le taux des salaires aura encore diminué ; l’ouvrier de fabrique sera aussi ignorant qu’auparavant ; et comme, par le dévelop-