Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/668

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pement croissant de la grande industrie, une portion plus considérable des ouvriers suisses aura dû subir le régime des manufactures et des usines, il y aura alors plus d’ouvriers ignorants et abrutis qu’aujourd’hui ; la race aura continué à dégénérer, malgré les mesures d’apparente humanité prescrites par la loi à l’égard des femmes et des enfants, et les conseils de réforme verront défiler devant eux un nombre toujours plus grand de recrues impropres au service[1]. Voilà quel est l’avenir fatal, inévitable, que nous prépare le régime de la production capitaliste, malgré toutes les lois sur les fabriques que pourra inventer l’imagination des philanthropes et que pourra voter un peuple qui se laisse abuser par de vains mots de liberté et de progrès.

La cognée doit être portée à la racine de l’arbre. C’est le système même du salariat qu’il faut abolir, par l’établissement de la propriété collective ; et ce résultat, on ne l’obtiendra pas en votant des lois, mais en détruisant le privilège par le soulèvement des opprimés contre les oppresseurs.


Voici enfin, comme épilogue, deux derniers extraits du Bulletin :


Un fait curieux, c’est que, si la loi a passé, c’est grâce aux votes, non pas des ouvriers, mais, en grande partie, de la petite bourgeoisie et des paysans, et qu’elle a eu beaucoup plus de voix dans certains cantons agricoles et ultramontains, que dans d’autres cantons industriels et libéraux.

Ainsi, les cinq cantons catholiques de la Suisse primitive, où il n’y a presque aucune industrie, ont donné une proportion de oui plus considérable que tous les autres cantons : Lucerne a fourni 10700 oui contre 7000 non : Uri, 1166 oui contre 420 non ; Schwytz, 4475 oui contre 1443 non ; Unterwald, 3230 oui contre 537 non ; Zug, 2067 oui contre 617 non.

Par contre, dans le canton de Genève la loi a été rejetée par 4187 non contre 3203 oui. Dans le canton de Zürich, le foyer central de l’agitation en faveur de la loi, où tout a été mis en œuvre pour en obtenir l’adoption, les districts de fabriques (Horgen, Hinweil, Pfäffikon, Uster) l’ont rejetée, tandis que les districts agricoles l’ont adoptée.

On ne peut donc pas prétendre que la loi ait été votée par les ouvriers, et que ceux-ci aient remporté une victoire. La loi a reçu des voix de tous les partis, et, si les paysans ultramontains des petits cantons n’eussent pas voté en sa faveur, elle n’aurait pas été adoptée. (Bulletin du 4 novembre.)

Nous avons rapporté les singuliers arguments dont se sont servis les radicaux suisses pour engager leurs amis à voter la loi. Ils leur affirmaient que cette loi ne s’appliquerait qu’aux grandes fabriques, et laisserait par conséquent en dehors de son action la presque totalité de la population ouvrière, en sorte qu’elle n’apporterait, surtout dans la Suisse française, aucune modification à la situation existante.

À Genève, ces choses ont été dites comme ailleurs. À la veille du vote du 21 octobre, une proclamation a été adressée aux électeurs par les partisans de la loi pour leur en recommander l’adoption ; et, qu’on le note

  1. Voir la confirmation de cette triste prophétie dans le livre de M. A. Niceforo, Les classes pauvres, recherches anthropologiques et sociales ; Paris, Giard et Brière, 1905.