Le jeudi 28, Buisson répétait à la Chaux-de-Fonds, où on lui avait accordé sans difficulté l’usage du temple, sa conférence de Neuchâtel ; et il m’adressait les feuillets d’épreuve que j’avais désiré recevoir, pour en publier un extrait dans le Progrès. J’en fis lecture le soir au père Meuron, à sa femme, et à deux dames qui se trouvaient là ; les auditeurs « furent profondément touchés de l’accent plein d’émotion et de foi de ces pages », dit ma lettre de ce jour. Quant à la missive de Bakounine, ma lettre la mentionne simplement en ces termes : « J’ai reçu aujourd’hui une lettre de Bakounine : il m’annonce qu’il viendra probablement ici le second dimanche de février ».
Le vendredi soir m’arriva une lettre de Buisson, m’indiquant comme date de sa conférence au Locle le vendredi 5 février. Il devait auparavant la répéter encore à Cernier le 1er février, dans la maison de commune. Dans la journée, les pasteurs m’avaient fait savoir, par une lettre très polie, qu’ils refusaient le temple, et le Conseil communal m’avait fait parvenir également son refus. Ces refus successifs, quand ils furent connus, produisirent dans le public une grande agitation ; et, pour l’entretenir, j’allai porter à l’éditeur de la Feuille d’avis des Montagnes (c’était lui qui imprimait le Progrès) le texte de mes trois lettres au Conseil municipal, aux pasteurs et au Conseil communal : Courvoisier accepta sans difficulté de les publier dans son journal avec les réponses.
Félix Pécaut avait fait à Neuchâtel une seconde conférence le vendredi. Cette fois, les partisans de l’orthodoxie interrompirent l’orateur par des sifflets, et, à la sortie du temple, Pécaut et Buisson furent grossièrement insultés.
Je préparais le No du Progrès, qui fut rédigé du vendredi 29 au dimanche 31, au milieu de la fièvre que me donnaient les négociations en vue de la conférence de Buisson, et les préparatifs que nous faisions, d’autre part, pour l’organisation d’une grande soirée au Cercle international.
L’assemblée mensuelle de la Section se réunit le dimanche 31, dans l’après-midi. L’ordre du jour portait, entre autres choses, l’examen du règlement fédéral élaboré au Congrès de Genève : les soixante et quelques articles du règlement furent lus, discutés et adoptés. La Section renouvela ensuite son bureau, et les fonctions de président, remplies jusqu’alors par Constant Meuron, furent remises, pour l’année 1869, au graveur F. Graisier. Le soir, à huit heures, eut lieu, dans cette même salle où le professeur Kopp avait fait sa conférence, la « soirée familière » que nous avions organisée. Les dames y avaient été invitées : c’était une innovation, et quelques pessimistes avaient prédit que les femmes n’oseraient pas venir. Elles vinrent cependant, et en si grand nombre qu’à huit heures et demie la grande et la petite salle du Cercle étaient combles : pour les faire mieux communiquer, il fallut démolir une armoire. Le nouveau président, Graisier, ouvrit la séance par un petit discours, dans lequel il fit ressortir combien il était important d’associer la femme au mouvement d’émancipation sociale, si l’on voulait que ce mouvement réussît. D’autres discours furent prononcés par Désiré Blin, horloger, et par Charles Monnier, comptable, accentuant, l’un, la note démocratique et sociale, l’autre la note anti-religieuse. Un camarade de la Chaux-de-Fonds, Bernard, exécuta avec beaucoup d’adresse des tours de prestidigitation qui divertirent l’assemblée ; d’autres camarades chantèrent ou dirent des poésies. À onze heures, je prononçai le discours de clôture, et la séance fut levée. Mais au moment où les dames allaient se retirer, on se souvient qu’il y a un piano dans la salle : vite les tables sont enlevées, quelqu’un se met au piano, et une sauterie s’improvise : jeunes et vieux, chacun veut en être, et l’on dansa avec le plus bel entrain jusqu’à une heure du matin. Cette soirée laissa la plus agréable impression à ceux qui y avaient pris part ; le surlendemain, j’écrivais : « On ne parle encore, chez nos amis, que de la soirée de dimanche ; c’est un enchantement. Ç’a été un beau jour pour moi