Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/136

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Pyrénées, où il habite[1], il a traversé toute la France, par ces froids rigoureux, pour venir appuyer le mouvement d’émancipation des intelligences, commencé à Neuchâtel et qui va s’étendre à toute la Suisse romande ; car on ne peut plus en douter, l’heure est venue, et les cantons français vont enfin entrer à leur tour dans cette voie de libéralisme religieux où les ont précédés de plusieurs années la plupart des cantons allemands.

Ce réveil soudain et puissant des consciences et des cœurs, si longtemps engourdis par la tyrannie dogmatique de l’orthodoxie, a véritablement transformé la physionomie habituelle de notre population ; et j’ose le dire, nous assistons en ce moment, à Neuchâtel, au plus beau mouvement qui se soit jamais produit dans notre canton, sans en excepter la révolution de 1848.

Ce même jour, 27 janvier, Bakounine m’écrivait de Genève, en réponse à la demande que je lui avais adressée une dizaine de jours avant, la première lettre que j’aie reçue de lui. Voici ce qu’il me disait :

Ce 27 janvier 1869, Genève, 123, Montbrillant.
Mon bien cher Guillaume,

J’ai laissé passer bien des jours avant de vous répondre. Mais prenez-vous-en, je vous prie, aux mille affaires pressantes qui ne m’ont pas laissé un seul moment de répit. Si vous attribuez mon silence à quelque autre motif, vous me feriez une grande injustice, car mon cœur vous appartient… J’ai tant de choses à vous dire, à discuter avec vous ! Je viendrai absolument passer avec vous quelques jours dans la première quinzaine du mois de février, si cela vous convient toutefois ; d’ailleurs nous aurons bien le temps de nous entendre à ce sujet, vous me désignerez vous-même le jour qui vous conviendra le mieux….

Votre bien dévoué,
M. Bakounine.

Dans les jours qui avaient immédiatement précédé l’envoi de cette lettre, — je n’ai appris ce fait qu’en 1903, en lisant la biographie de Bakounine par Max Nettlau, — avait eu lieu à Genève un congrès de membres de l’organisation secrète fondée par Bakounine en 1864. À ce Congrès, auquel assistèrent entre autres — outre Bakounine — B. Malon, A. Troussot, Nicolas Joukovsky, Valérien Mroczkowski, V. Barténief, Ch. Perron, Alberto Tucci, se produisit un conflit à la suite duquel Bakounine écrivit, le 26 janvier, une lettre de démission (publiée par Dragomanof, Correspondance de Michel Bakounine, édition russe, p. 217, et reproduite par Nettlau, p. 279) ; il y disait : « Après réflexion, je me suis décidé de sortir du Directoire central de la Fraternité internationale aussi bien que du Bureau central et de toutes les affaires publiques de l’Alliance, et de ne prendre aucune part, ni directe, ni indirecte, dans les affaires de ces sociétés jusqu’au prochain Congrès ». Peu de temps après, la Fraternité internationale[2] fut déclarée dissoute ; la circulaire, sans date, qui annonce cette décision indique, comme en étant le motif, des incidents survenus pendant le voyage fait en Espagne par Fanelli, Élie Reclus et Aristide Rey (Nettlau, p. 277). Je reviendrai là-dessus au chapitre suivant (p. 131).

  1. À Salles-de-Béarn.
  2. C’est le nom que paraît avoir porté à ce moment la société secrète fondée en 1864 sous le nom d’Alliance de la démocratie sociale. Dans les documents envoyés par Bakounine à Herzen et à Ogaref en 1866, l’organisation, appelée là du nom de « Société internationale révolutionnaire », est composée de « Frères internationaux ».