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par rapport aux ouvriers, quelque chose comme les surveillants nègres dans les plantations du Sud de l'Amérique aux beaux temps de l'esclavage » ; que « le despotisme que l'Internationale faisait peser sur ses adhérents ressemblait au fouet du surveillant d'esclaves » ; je lui opposai un éloge de l'Internationale publié par le général Cluseret dans la Démocratie de Chassin. La quatrième lettre de Bakounine abordait l'étude de la « religion de l'État », le patriotisme, religion que l'utilitarisme bourgeois a tuée ; l'auteur analysait l'idée de l'État, et concluait que « l'État a toujours été le patrimoine d'une classe privilégiée quelconque, et que c'est l'intérêt solidaire de cette classe privilégiée qui s'appelle le patriotisme ». Une lettre d'Espagne, signée Rafaël Farga-Pellicer, envoyait par l'intermédiaire du Progrès le salut fraternel du Centre fédéral des sociétés ouvrières de Barcelone aux classes ouvrières de la Suisse, et se terminait par les mots : « Vive la République démocratique fédérale ! » Un groupe d'ouvriers horlogers du Locle adressait un appel à ses camarades, les engageant à s'associer pour défendre leurs intérêts. Enfin un article intitulé Les massacres de Belgique donnait des détails sur les sanglants événements de Seraing (9 avril) et de Frameries (15 avril), et annonçait l'arrestation d'Eugène Hins, membre du Conseil général belge.

VIII


Nous décidons d'en finir avec Coullery et la Montagne : entente avec les socialistes du Val de Saint-Imier (9 mai). N° 10 et 11 du Progrès (15 et 29 mai). Meeting du Crêt-du-Locle (10 mai). Lettre de Bakounine à Fritz Robert (7 juin). N° 12, 13 et 14 du Progrès (19 et 26 Juin, 10 Juillet) ; polémique avec la Montagne. Massacre de la Ricamarie (17 Juin). Attente de graves événements.


Cependant la Montagne continuait à faire entendre à la Chaux-de-Fonds une note discordante, et cherchait à entraver notre propagande. Nous pensâmes qu'il fallait en finir avec Coullery, en infligeant à son journal un désaveu public ; et, dans les premiers jours de mai, nous résolûmes de convoquer à cet effet une grande réunion pour le dimanche 30. À cette réunion nous désirions voir se rendre non seulement les socialistes du Locle et de la Chaux-de-Fonds, mais aussi ceux du Val de Saint-Imier et quelques-uns de nos amis de Genève. Il n'existait pas encore de relations personnelles entre les membres de la Section du district de Courtelary et ceux des Sections du Jura neuchâtelois : pour en établir et pour décider les ouvriers du « Vallon » à se rendre à la réunion projetée, le Locle et la Chaux-de-Fonds envoyèrent, un dimanche, à Sonvillier et à Saint-Imier, une délégation, dont je fus. C'est de ce jour, le 9 mai 1869, que date le rapprochement entre Jurassiens bernois et Jurassiens neuchâtelois pour une action commune ; rapprochement fécond, qui fut durable, et qui donna naissance plus tard, lorsqu'il fallut lutter, non plus contre Coullery, mais contre la domination de Marx, à la Fédération jurassienne.

Cette excursion au Val de Saint-Imier, qui était pour moi un voyage de découverte, est restée un de mes plus vivants souvenirs. J'étais parti du Locle pour la Chaux-de-Fonds par le premier train, avec mon ami Auguste Spichiger, ouvrier guillocheur, qui connaissait déjà le district de Courtelary, où il avait travaillé ; à la gare de la Chaux-de-Fonds nous attendait un camarade, Charles Collier, horloger, qui devait nous accompagner, et qui allait voir son père à Saint-Imier. Nous suivîmes à pied le chemin du col de la Cibourg, chemin charmant par cette matinée printanière, bordé d'arbres et serpentant à travers les pâturages et les bois. Tout en montant, nous causions, et je racontais à mes camarades ce que j'avais appris du mouvement révolutionnaire en Russie, redisant les espérances que la présence de Netchaïef avait fait concevoir à Bakounine. Après avoir atteint le sommet de la montagne, frontière du canton de