Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Jeanne Brismée.

Nos amis se souviennent de l’arrestation du compagnon Hins, secrétaire du Conseil général belge de l’Internationale. Les crimes de Hins, on les connaît : une grève venait d’éclater à Seraing, le sang coulait ! Hins exhorte les ouvriers à reprendre le travail, à éviter par tous les moyens l’émeute qui ne pouvait que nuire à leur cause ; sa voix fut écoutée, et une grande partie des ouvriers reprirent leurs travaux. De retour à Bruxelles, il apprend qu’une grève vient d’éclater dans le Borinage, et, pendant que l’autorité rétablit l’ordre à coups de baïonnettes, lui réussit à empêcher le désordre par ses conseils. Une pareille conduite méritait une récompense : l’autorité, qui avait appris son dévouement, la lui réservait.

Hins, enfermé à la prison des Petits-Carmes, a été tenu au secret pendant quatre semaines. Sa jeune femme, malade et enceinte de six mois, demanda inutilement la permission de le voir. Soutenue par deux amis, elle se rendit chez le juge d’instruction : le triste état de la pauvre femme, qui crachait le sang, et qui suppliait qu’on lui permît de voir son mari, fût-ce en présence des gendarmes, ne toucha pas le représentant de l’ordre bourgeois, qui resta inexorable. Mme Hins rentra chez elle et se mit au lit pour ne plus se relever. Une requête adressée au procureur général, M. de Bavay, signée par une vingtaine d’avocats et motivée par l’état de santé extrêmement grave de Mme Hins, qui souffrait d’une hypertrophie du cœur, ne réussit pas davantage à obtenir la liberté provisoire de son mari. Enfin le vendredi 14 mai, la justice (on appelle cela la justice, par une atroce dérision) — la justice a dû relâcher Hins et d’autres socialistes emprisonnés comme lui, l’instruction la plus minutieuse n’ayant pu relever le moindre délit à leur charge.

Hins a été rendu à la liberté juste à temps pour recueillir le dernier soupir de sa femme. Celle-ci, frappée au cœur, a expiré trois jours après. Elle avait vingt-deux ans, et il y avait huit mois qu’elle était mariée.

Voilà comment le gouvernement belge combat l’Internationale. Il assassine les femmes.

Mercredi 19 mai, la morte a été conduite à sa dernière demeure. « Longtemps avant l’heure du funèbre convoi, dit le Peuple belge, la rue des Alexiens était envahie par la foule des citoyens dont la présence devait être la protestation de la population entière contre un nouveau crime de la loi, et, autant qu’il se pouvait, la réparation civique d’un des actes les plus odieux commis par le régime actuel. Travailleurs du peuple et de la bourgeoisie, représentants de la presse, du barreau, du commerce, fonctionnaires, se confondaient là dans un même sentiment de réprobation pour le gouvernement, de pitié pour les victimes, et de deuil pour le drapeau de la liberté et du droit couvert d’une nouvelle tache sanglante. À cinq heures, de l’humble maison de l’imprimeur Brismée, père de Mme Hins, sortait le cercueil contenant la jeune mère avec l’enfant mort dans son sein. Nous renonçons à décrire l’impression qui, à ce moment, se lisait sur toutes les faces… »

Les différentes Sociétés ouvrières de Bruxelles, les Sections de l’Internationale de Liège, de Gand, d’Anvers, de Bruges, etc., les