L'article de Bakounine, intitulé « le Patriotisme », parlait encore de ce patriotisme instinctif ou naturel, qui avait toutes ses racines dans la vie animale ; et il concluait que le patriotisme en tant que sentiment naturel, « étant dans son essence et dans sa réalité un sentiment tout local, était un empêchement sérieux à la formation des États ; et que par conséquent ces derniers, et avec eux la civilisation, n'ont pu s'établir qu'en détruisant sinon tout à fait, au moins à un degré considérable, cette passion animale ».
Un compte-rendu du meeting de Fontaines, signé P. M. (Paul Monnier, du Locle), rapportait l'épisode principal de cette réunion : Un instituteur avait déclaré que les tendances de l'Internationale étaient louables, mais avait blâmé les moyens dont elle se servait pour faire de la propagande ; il avait ajouté que la seule voie pour arriver à l'émancipation des travailleurs était l'instruction du peuple. Les socialistes montrèrent l'impossibilité de généraliser l'instruction dans une société fondée sur le salariat, c'est-à-dire sur l'exploitation de l'homme par l'homme. L'instituteur avait renoncé à répondre, et les assistants votèrent, à l'unanimité, sauf quelques abstentions, l'adhésion aux principes de l'Internationale.
Sous ce titre, « Justice bourgeoise », le Progrès donnait ensuite des détails, empruntés à l’Internationale de Bruxelles, sur le procès intenté en Belgique à un certain nombre de nos amis, procès dont l'instruction n'aboutissait pas ; puis il relatait la condamnation, par les juges de l'Empire, à deux mois de prison, de Charles Longuet, impliqué dans les troubles qui avaient eu lieu à Paris en juin, à l'occasion des élections complémentaires.
On a vu, par ma lettre du 24 juin et par celle de Bakounine du 21, que l'existence du Progrès se trouvait mise en question : nous avions à lutter contre des difficultés financières. Le nombre de nos abonnés ne s'accroissait pas ; la France nous était à peu près fermée, et l'Italie et l'Espagne n'avaient pu nous fournir qu'un nombre infime de lecteurs. Bakounine nous avait offert d'écrire au millionnaire Cowell Stepney pour lui demander de nous aider à payer notre imprimeur ; il m'annonça, le 8 juillet, que la réponse du riche Anglais était négative. Voici sa lettre :
Ce 8 juillet 1869.
... Je joins à cette lettre la réponse de Cowell Stepney. C'est, comme tu verras, un refus sec et net[1]. Que ferons-nous maintenant ? Mettrons-nous fin à l'existence si utile, si nécessaire de notre cher Progrès ? Il est aujourd'hui plus nécessaire que jamais, et sa disparition serait un trop beau triomphe pour Coullery. Mais comment ferons-nous pour lui donner les moyens de vivre encore ? Inventez quelque chose et écrivez-moi.
Amis, il nous faut, dans ce moment surtout, beaucoup d'énergie. Nos adversaires, les socialistes bourgeois et les ouvriers bourgeois, après avoir été d'abord étonnés et intimidés par notre propagande franche et hardie, se sont rassurés, ils ont compté leur nombre et ils ont repris courage, non seulement à la Chaux-de-Fonds, mais à Genève aussi et partout. Ils combinent une attaque à fond, un assaut désespéré contre nous ; et si nous faiblissons, nous perdons tout le terrain gagné pour longtemps ; tandis que si nous tenons ferme main-
- ↑ Cowell Stepney écrivait : « 9, Bolton Street, Londres S. W.. 1er juillet 1869. Mon cher Monsieur. Je vous remercie bien pour votre aimable lettre du 24 juin. Je crains que je ne pourrai vous être d'aucun service à l'égard du Progrès. Les moyens dont je peux disposer sont tous employés chez moi. J'espère pouvoir assister au Congrès de Bâle. Je vous prie de bien vouloir exprimer mes sympathies sincères à M. James Guillaume et mes regrets. Et je vous prie bien de me croire votre très dévoué W. Fred. Cowell Stepney. — Monsieur M. Bakounine, Montbrillant, Genève. »