Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/202

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gue a consisté dans la plus grande publicité et dans la discussion publique des principes de l'Internationale. Se réunissant une fois par semaine, il appelait tout le monde à ses discussions, s'efforçant de faire parler précisément ceux qui dans les assemblées générales et dans les séances de la Section centrale se taisaient toujours. Il fut posé comme loi qu'on ne prononcerait pas de discours, mais qu'on causerait. Tous, membres du groupe ou non, pourraient prendre la parole. Ces habitudes égalitaires déplurent à la majorité des ouvriers de la fabrique, de sorte qu'après être accourus d'abord en grand nombre aux séances de l'Alliance, ils s'en éloignèrent peu à peu ; si bien que, de fait, la Section de l'Alliance devint celle des ouvriers du bâtiment. Elle leur donna le moyen, au grand déplaisir de la fabrique sans doute, de formuler leur pensée et de dire leur mot. Elle fit plus, elle leur donna le moyen de se connaître, de sorte qu'en peu de temps la Section de l'Alliance présenta un petit groupe d'ouvriers conscients et réellement unis entre eux.

La seconde raison de la rancune d'abord, et plus tard de l'antipathie prononcée des meneurs ambitieux de la fabrique contre la Section de l'Alliance, fut celle-ci. L'Alliance, par son programme aussi bien que par tous les développements donnés plus tard à ce programme, s'était résolument prononcée contre toute union adultère du socialisme révolutionnaire du prolétariat avec le radicalisme bourgeois. Elle avait pris pour principe fondamental l'abolition de l'État avec toutes ses conséquences politiques et juridiques. Cela ne faisait pas du tout le compte de Messieurs les bourgeois radicaux de Genève, qui, aussitôt après leur défaite aux élections de novembre 1868, avaient commencé à songer à faire de l'Internationale un instrument de lutte et de triomphe ; ni celui non plus de certains meneurs de la fabrique de Genève, qui n'aspiraient à rien de moins qu'à monter au pouvoir à l'aide de l'Internationale.

Telles ont été les deux raisons principales de la haine vouée par les chefs de la fabrique à la Section de l'Alliance[1].


De vifs débats eurent lieu dans les assemblées générales des Sections de Genève, au Temple-Unique, lorsqu'il fallut discuter, dans le courant d'août, les questions qui devaient figurer à l'ordre du jour du Congrès de Bâle et se concerter pour la nomination de délégués. Les meneurs de la coterie, on l'a vu, avaient tenté d'éliminer, par simple prétérition, les questions de la propriété collective et du droit d'héritage. Mais, dans une assemblée générale, les collectivistes rappelèrent qu'il y avait deux questions du programme pour lesquelles le Comité cantonal avait négligé de nommer des commissions, ajoutant qu'il était urgent de réparer cette omission. « Alors l'orage éclata : tous les grands orateurs de la fabrique et des comités, Grosselin, Weyermann, Crosset, Wæhry, Dupleix, le père Reymond, Rossetti, Guétat, Paillard, vinrent tour à tour à la tribune déclarer que c'était un scandale, une action subversive, une inutile perte de temps, que de venir proposer des questions pareilles à des ouvriers. Robin, Bakounine, Brosset, Heng répondirent, et la victoire resta aux révolutionnaires : deux commissions furent élues pour les deux questions ; Bakounine fut nommé dans celle de l'abolition du droit d'héritage, et Robin dans celle de la propriété collective[2]. » Alors les Sections de la fabrique, dans une assemblée particulière, décidèrent qu'elles se feraient représenter

  1. Extrait des pages 29-36 du manuscrit intitulé Rapport sur l'Alliance.
  2. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 73.