Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/204

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La Section de l'Alliance décida de se faire représenter, elle aussi, au Congrès de Bâle. Le médecin espagnol Gaspard Sentiñon, délégué à Bâle par la Section internationale de Barcelone, se trouvant de passage à Genève, avant le Congrès, se fit admettre comme membre de la Section de l'Alliance le 29 août : séance tenante, la Section le choisit comme délégué[1].

Quant à Bakounine, il avait reçu deux mandats pour le Congrès de Bâle : l'un de l'Association des ouvrières ovalistes de Lyon, qui venait d'adhérer à l'Internationale à la suite de la grève retentissante dont j'ai parlé, l'autre de la Section des mécaniciens de Naples[2].

Coullery avait compris que son rôle était fini à la Chaux-de-Fonds et dans l'Internationale : il disparut momentanément de la scène, pour aller s'enterrer dans un petit village de Val de Ruz, Fontainemelon, où de riches industriels appartenant au parti conservateur, les frères Robert, venaient de l'appeler comme médecin attaché à leur fabrique d'ébauches de montres. La Section de la Chaux-de-Fonds nomma pour son délégué au Congrès de Bâle Fritz Robert, et lui donna le mandat de voter pour la propriété collective et pour l'abolition du droit d'héritage. Le monteur de boîtes François Floquet fut délégué de la Section centrale du Locle, Adhémar Schwitzguébel délégué de la Section du district de Courtelary, l'horloger Alcide Gorgé délégué de la Section de Moutier. La Section de Lausanne avait délégué le corroyeur Jaillet. Sur mon initiative, il venait de se reconstituer une Section à Neuchâtel ; mais je n'acceptai pas d'aller la représenter au Congrès : il m'eût été trop difficile de m'absenter, à cause de mes occupations à l'imprimerie ; en outre, ma santé était ébranlée ; j'avais donc résolu de ne pas me rendre à Bâle.

Le dimanche 5 septembre, jour de l'ouverture du Congrès, je vis arriver à Neuchâtel un jeune Français, l'ex-abbé Martinaud, auteur d'une brochure qui avait fait quelque bruit l'année précédente, la Lettre d'un jeune prêtre athée et matérialiste à son évêque, le lendemain de son ordination[3]. Je copie à ce sujet un passage de ma lettre du lendemain :


Je n'ai pas pu t'écrire hier, malgré mon envie : j'ai été occupé tout le jour à une aventure qu'il faut que je te raconte.

J'étais encore endormi quand on vient m'annoncer qu'un monsieur vêtu de noir me demande, et m'apporte une lettre d'un ami de Paris. Je lis cette lettre, et je vois que l'ami en question me recommande M. Martinaud, ex-prêtre catholique, qui a quitté la soutane parce qu'il a pris des convictions nouvelles, qui a publié une brochure contre le catholicisme, et qui a été condamné pour cela à deux ans de prison. Je connaissais bien cette histoire pour l'avoir lue il y a quelques mois dans les journaux. Je me hâte donc de m'habiller et d'aller recevoir M. Martinaud. Il a fait neuf mois de prison, et c'est l'amnistie du 15 août qui lui a permis de sortir de Sainte-Péla-

  1. Extrait des procès-verbaux de la Section de l'Alliance, analysés par Nettlau (page 316).
  2. La candidature de Bakounine à la délégation avait été posée à Genève, au scrutin des 21-23 août, mais il n'avait pas été élu. Un entrefilet de l’Égalité (11 septembre 1869) dit : « Bakounine, dans l'élection d'une délégation commune aux Sections qui font partie de la Fédération genevoise, venait, par le nombre des suffrages, immédiatement après les trois internationaux élus, et il est certain qu'il aurait passé des premiers si l'on n'avait pas su que sa présence à Bâle était déjà assurée ».
  3. Le Progrès publia dans ses n° 20 et 21 (2 et 16 octobre 1869) cette Lettre, dont Martinaud, qui n'en possédait plus d'exemplaire, avait reconstitué le texte de mémoire.