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On trouvera dans le compte-rendu officiel, dont la publication a été confiée pour cette fois aux Sections belges, les détails de la discussion. Il suffira de dire que la Commission du Congrès proposait, à l’unanimité[1], les deux résolutions suivantes :

« 1° Le Congrès pense que la société a le droit de rendre le sol propriété collective ;

« 2° Le Congrès pense qu’il y a nécessité à transformer le sol en propriété collective[2]. »

Ces résolutions ne trouvèrent d’autres adversaires qu’un très petit groupe de délégués parisiens, les mêmes qui avaient déjà combattu la collectivité à Bruxelles : Chemalé, Tolain, Murat, plus le journaliste Langlois, un des exécuteurs testamentaires de Proudhon.

Parmi les discours prononcés pour et contre, le plus remarquable fut celui de Hins, qui l’an passé à Bruxelles avait été le plus ardent défenseur de la propriété individuelle, et qui figurait maintenant au premier rang des champions de la propriété collective. Il reprit un à un les arguments des individualistes, et montra comment il avait été amené à en découvrir le côté faible, et de quelle manière le principe collectiviste avait fini par s’imposer victorieusement à son intelligence.

Le vote sur les deux résolutions eut lieu par appel nominal. En voici le résultat :

1re résolution : 54 oui, 4 non, 13 abstentions, 4 absents.

2e résolution : 53 oui, 8 non, 10 abstentions, 4 absents.

Il sera utile d’ajouter ici quelques observations. Une partie de la presse bourgeoise cherche à faire croire que le vote a été emporté par la coalition des Anglais, des Belges et des Allemands, dirigée par le Russe Bakounine, laquelle coalition aurait écrasé les délégués de Paris, représentants de l’intelligence et du principe individualiste. Or il faut noter que plusieurs délégués de Paris, entre autres Varlin et Tartaret, ont voté oui, et que les délégués d’autres villes françaises, entre autres Lyon et Marseille, ont également voté oui[3].

Il est en outre intéressant de savoir que sur les votants négatifs[4], il y en a deux, Murat et Tolain, qui avaient été délégués par des corporations d’opinion collectiviste, et dont le vote ne représente donc rien d’autre qu’une opinion personnelle[5].

  1. C’est une erreur : il y avait eu, dans la Commission, dix voix pour et quatre voix contre.
  2. Le texte de ces deux résolutions n’est donné ici qu’en termes approximatifs. On trouvera le texte authentique p. 196.
  3. Dans l’original, la fin de cette phrase est ainsi rédigée : « et que les délégués des autres villes françaises, entre autres Rouen, Lyon et Marseille, ont également tous voté oui ». J’ai rectifié la phrase, parce que la lecture du procès-verbal (imprimé à Bruxelles en 1869) m’a fait ultérieurement constater que les deux délégués de Rouen et le délégué d’Elbeuf s’étaient abstenus.
  4. Dans l’original, il y a : « sur les quatre votants négatifs ». J’ai rectifié la phrase en supprimant le mot quatre, qui, s’appliquant au premier vote, rendait l’assertion inexacte en ce qui concerne Murat. En effet, le procès-verbal indique que dans le premier vote, où il y a quatre non, Tolain a voté non, mais que Murat s’est abstenu. C’est dans le second vote, où il y a eu huit non, que Tolain et Murat ont tous les deux voté non.
  5. Tolain, n’ayant pu obtenir de mandat d’un groupe parisien, en avait sollicité et obtenu un de l’Association des boulangers de Marseille, adhérente à la Section internationale de cette ville ; et, pour faire face aux frais de voyage, il s’était fait, pour la circonstance, le correspondant du Figaro, auquel il envoya des lettres où les délégués d’opinion collectiviste étaient fort maltraités. Un correspondant lyonnais de l’Égalité de Genève écrivit à ce sujet : « Les Marseillais ont du bon. Un de nos amis leur a demandé comment une fraction (l’Association des boulangers) de la Section collectiviste de Marseille avait pu donner un mandat au mutuelliste Tolain, qui a parlé de plusieurs d’entre nous, dans le Figaro, en termes dignes d’un bourgeois de la pire espèce. « Parbleu ! » répondit le Marseillais, « c’était pour lui ménager l’échec éclatant qu’il a éprouvé. » C’est répondu en Gascon, mais les Marseillais sont à peu près de la même race. D’ailleurs, la réponse est bonne, car les Marseillais sont à jamais guéris de la manie de donner des mandats à des correspondants du Figaro. » (no 39, 16 octobre 1869.)