Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/214

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cole, il conclut à la solidarisation des communes, proposée par la majorité de la commission, d’autant plus volontiers que cette solidarisation implique l’organisation de la société de bas en haut, tandis que les propositions de la minorité supposent un État. Il demanda « la destruction de tous les états nationaux et territoriaux, et, sur leurs ruines, la construction de l’État international de millions de travailleurs, État que le rôle de l’Internationale sera de constituer[1] ».

Hins fit le récit de sa conversion à l’opinion collectiviste. En étudiant de plus près la question de la propriété du sol, il avait dû reconnaître qu’il n’était pas possible, au nom de la justice, d’admettre qu’avec le même travail deux cultivateurs obtinssent une somme inégale de produits. La supériorité naturelle d’un sol sur un autre crée la rente foncière : et il fut forcé de se dire que cette rente devait appartenir non au cultivateur, mais à la collectivité. Seulement, après avoir admis que la société devait prélever la rente du sol, il reconnut que, sans s’en apercevoir, il était arrivé par là à la négation de la propriété individuelle, puisque c’est la jouissance de la rente qui constitue la propriété. L’examen d’une autre question acheva de lui démontrer que la propriété, dans une société égalitaire, devait se transformer inévitablement en simple possession : jusque-là, il avait été partisan de l’héritage ; or, la discussion lui fit voir que par l’héritage on pouvait arriver à deux résultats également dangereux, ou bien un morcellement excessif de la terre, ou bien la monopolisation de la terre en un petit nombre de mains ; il fallait donc, pour parer à ce double danger, renoncer à la transmission héréditaire ; et la suppression de l’héritage, c’est la suppression de la propriété.

Le procès-verbal du Congrès (p. 73) met dans la bouche de l’Allemand Gœgg des déclarations qui feraient de lui un partisan de la propriété collective : « Le salariat et le patronat doivent être abolis, et cette abolition conduit à la propriété collective du sol et à l’abolition du droit d’héritage. Reste l’organisation de la chose : c’est l’affaire du peuple, et c’est par la législation directe qu’il pourra y arriver. » Mais à en croire Gœgg lui-même, ce délégué était partisan de la propriété individuelle, l’Égalité (numéro du 1er  octobre 1869) lui ayant prêté ces paroles : « Le droit du plus fort a créé la propriété individuelle ; le moyen d’arriver à la propriété collective, c’est l’abolition du droit d’héritage », Gœgg s’empressa de protester par une lettre où il disait : « Le récit dans lequel vous me faites dire que le droit du plus fort a créé la propriété individuelle, et que le moyen d’arriver à la propriété collective est l’abolition du droit d’héritage, est, en ce qui me concerne, totalement inexact. Je déclare que je ne me suis jamais prononcé contre la propriété individuelle, et qu’à Bâle je n’ai pas voté pour l’abolition du droit d’héritage. » (Lettre insérée dans l’Égalité du 8 octobre 1869.) Gœgg n’en a pas moins voté oui sur les deux résolutions relatives à la propriété collective du sol. Aussi, quand des raisons politiques l’engagèrent — comme elles engagèrent également Liebknecht, après le Congrès — à dissimuler, il déclara qu’il n’avait pas voté pour l’abolition du droit d’héritage (voir plus loin l’explication de son vote), mais n’osa pas affirmer

  1. Je me rappelle que je demandai à Bakounine comment il avait pu, lui, l’ennemi de l’État, réclamer « la construction, sur les ruines de tous les États nationaux, de l’État international de millions de travailleurs ». Il me répondit que l’expression d’État international, exprimant une idée contradictoire par elle-même et impossible à réaliser, équivalait à la négation de l’État ; tout en ayant l’air de faire aux partisans de l’État une concession de langage, il croyait ainsi miner par la base leur conception théorique ; sa formule équivalait à une démonstration par l’absurde. C’est de la même façon qu’en employant au Congrès de Berne, en 1868, l’expression d’égalisation des classes, — « contre-sens logique impossible à réaliser », comme le remarqua très justement le Conseil général, — il aboutissait à la négation même de l’idée de classe. Procédés bizarres, habitudes d’esprit que nous lui reprochions en riant, et dont il ne put jamais se défaire complètement, en ancien hégélien qu’il était.