Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/217

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de la propriété individuelle, a puissamment contribué à aliéner la propriété foncière et la richesse sociale au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre, et qu’en conséquence il est un des plus grands obstacles à l’entrée du sol à la propriété collective ;

Que d’autre part le droit d’héritage, quelque restreinte que soit son action, en empêchant que les individus aient absolument les mêmes moyens de développement moral et matériel, constitue un privilège dont le plus ou moins d’importance au fond ne détruit point l’iniquité en droit, et qui devient ainsi une menace permanente au droit social[1] ;

Qu’en outre le Congrès s’est prononcé pour la propriété collective, et qu’une telle déclaration serait illogique si elle n’était corroborée par celle qui va suivre,

Le Congrès reconnaît que le droit d’héritage doit être complètement et radicalement aboli, et que cette abolition est une des conditions indispensables de l’affranchissement du travail.


Cette rédaction laissait beaucoup à désirer, et on pouvait surtout lui reprocher de ne pas caractériser de façon satisfaisante la nature du rapport existant entre la déclaration votée par le Congrès relativement à la propriété collective et celle qu’on lui demandait relativement au droit d’héritage. Prétendre que la première déclaration serait « illogique » si elle n’était pas « corroborée » par la seconde, était d’un raisonnement boiteux.

Heureusement, Bakounine devait, dans la discussion, tirer les choses au clair, et remplacer cette piètre logomachie par des arguments sérieux.

Eccarius donna lecture du rapport du Conseil général — c’est-à-dire de l’opinion de Marx — sur la question, en déclarant que les choses y étaient envisagées à un point de vue tout différent de celui de la Commission. Ce rapport disait :


« La loi de l’hérédité n’est pas la cause, mais l’effet, la conséquence juridique de l’organisation économique actuelle de la société ;… ce que nous avons à discuter, c’est la cause et non l’effet ; … la disparition du droit d’héritage sera le résultat naturel d’un changement social abolissant la propriété individuelle dans les moyens de production ; mais l’abolition du droit d’héritage ne peut être le point de départ d’une pareille transformation sociale : cela serait aussi absurde que de vouloir abolir la loi de l’offre et de la demande tout en continuant l’état actuel des conditions de l’échange ; ce serait faux en théorie et réactionnaire en pratique. En traitant des lois de l’héritage, nous supposons nécessairement que la propriété individuelle dans les moyens de production continue d’exister. Toute mesure concernant le droit d’héritage ne peut conséquemment avoir rapport qu’à un état de transition sociale… Ces mesures transitoires ne peuvent être que les suivantes : A. Extension de l’impôt sur le droit d’héritage… ; B. Limitation du droit de tester. . . »


Ainsi, après une déclaration théorique très radicale, — l’abolition de la propriété individuelle, d’où découlera naturellement la disparition du droit d’héritage, — Marx aboutissait à des mesures pratiques très propres à orner un programme politique genevois ou zuricois : impôt sur les successions, limitation du droit de tester. Bakounine, lui, on va le voir, ne prenait pas pour point de départ théorique l’hypothèse d’un état social où la

  1. Ce considérant puéril, qui invoquait, contre la thèse de De Paepe, un argument de droit social abstrait, était l’œuvre d’Albert Richard.