Aller au contenu

Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

saient la Suisse que par ouï-dire ; aussi la vue de leur rêve réalisé, d’un peuple pratiquant leurs théories démocratiques, les remplit-elle d’admiration et d’enthousiasme ; ils n’en croient pas leurs yeux ; le moindre détail les frappe d’étonnement et de joie. L’un d’eux me raconte avec ravissement qu’il vient de lire à la porte d’un jardin public ces mots : Ce jardin, étant propriété publique, est mis sous la sauvegarde de tous les citoyens.

— Comme c’est beau ! s’écrie-t-il. Toute la République est dans cette inscription. Ah ! quand serons-nous aussi heureux que vous ?

Toute la journée d’aujourd’hui mardi a été consacrée à l’audition du rapport de gestion du Conseil général de Londres, et de mémoires de différentes Sections sur les questions de principe qui doivent être discutées par le Congrès, telles que les relations du capital et du travail, le rôle de la femme dans la société, les armées permanentes, l’avenir des associations, etc. Ces mémoires, qui résumaient franchement les théories professées par l’Association des travailleurs, je les ai écoutés d’un bout à l’autre avec la plus grande attention, et j’ai été frappé de la modération, de l’esprit pratique, de l’absence complète de vues utopiques, qui les caractérisaient. Une question, entre autres, m’intéressait : on avait dit que l’Association internationale prêchait la soi-disant émancipation de la femme, l’abolition de la famille ; je désirais entendre une explication catégorique à ce sujet. Or, voici les conclusions du mémoire sur le rôle de la femme dans la société lu par un délégué de Paris : La famille est le fondement de la société ; la place de la femme est au foyer domestique ; non seulement nous ne voulons pas qu’elle l’abandonne pour siéger dans une assemblée politique ou pérorer dans un club, mais nous ne voudrions pas même, s’il était possible, qu’elle le quittât pour s’occuper d’un travail industriel. L’assemblée a été unanime à témoigner par ses applaudissements qu’elle partageait cette manière de voir.

Je suis obligé de couper court à cette correspondance, en vous renvoyant aux journaux genevois pour d’autres détails. Pour résumer mon impression en terminant, je crois que l’Association internationale peut rendre de grands services aux travailleurs, en leur apprenant à se connaître entre eux, et en éveillant en eux le goût de l’étude des questions sociales qui les touchent de près ; et je souhaite que ce premier Congrès produise le résultat moral que semble promettre l’ouverture de ses délibérations.

Agréez, etc.


Il existe un compte-rendu du Congrès de Genève, publié en français à Genève et rédigé par le Polonais Card[1]. Ce Compte-rendu[2] est très incomplet : il ne donne pas même la liste des délégués, et on n’y trouve pas, sauf une ou deux exceptions, le texte des résolutions votées. Il nous apprend, toutefois, que les délégués étaient au nombre de soixante, dont

  1. Card est le pseudonyme de Czwierzakiewicz, réfugié polonais, qui fut l’un des premiers organisateurs de l’Internationale à Genève.
  2. Congrès ouvrier de l’Association internationale des travailleurs, tenu à Genève du 5 au 8 septembre 1866, Genève, imprimerie J.-C. Ducommun et G. Œtlinger, route de Carouge, in-8o de 30 pages. Le Conseil général de Londres avait été chargé de publier un compte-rendu officiel du Congrès. Le rapport présenté par le Conseil général au Congrès de Lausanne, en 1867, dit que ce compte-rendu parut, en mars 1867, dans le Courrier international, journal publié à Londres par le citoyen Collet ; il ne m’a pas été possible de me le procurer.