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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/237

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ans, en quoi il nous a indubitablement tous surpassés. Il a été l'un des premiers fondateurs, et assurément le principal, de l'Internationale, et c'est là, à mes yeux, un mérite énorme, que je reconnaîtrai toujours, quoi qu'il ait fait contre nous. La deuxième raison, c'est la politique et une tactique que je crois très juste... Marx est indéniablement un homme très utile dans l'Association internationale. Jusqu'à ce jour encore, il exerce sur son parti une influence sage, et présente le plus ferme appui du socialisme, la plus forte entrave contre l'envahissement des idées et des tendances bourgeoises. Et je ne me pardonnerais jamais, si j'avais seulement tenté d'effacer ou même d'affaiblir sa bienfaisante influence dans le simple but de me venger de lui. Cependant il pourrait arriver, et même dans un bref délai, que j'engageasse une lutte avec lui, non pas pour l'offense personnelle, bien entendu, mais pour une question de principe, à propos du communisme d'État, dont lui-même et les partis anglais et allemand qu'il dirige sont les plus chaleureux partisans. Alors ce sera une lutte à mort. Mais il y a un temps pour tout, et l'heure de cette lutte n'a pas encore sonné.


Les critiques de Herzen, toutefois, détournèrent Bakounine de la publication de sa brochure, dont le manuscrit (qui ne s'est pas retrouvé) ne semble pas avoir été achevé. Une seconde lettre adressée au Réveil, plus courte que la première, fut écrite dans le courant d'octobre, et envoyée par Bakounine à Herzen ; mais, au lieu d'en demander l'insertion, celui-ci se contenta d'une explication verbale avec Delescluze, qui publia ensuite dans son journal une déclaration destinée à donner satisfaction à l'offensé.

Le manuscrit inachevé, de 37 pages, intitulé Aux citoyens rédacteurs du RÉVEIL, existe[1]. Il contient le passage suivant, où Bakounine explique les raisons personnelles que Moritz Hess avait de lui en vouloir :


Je l'avais totalement oublié[2] et je ne me suis ressouvenu de lui qu'à l'occasion de sa dernière brochure[3], que mon ami Jean-Philippe Becker m'avait apportée en me demandant si je ne voulais pas faire à son sujet un article pour l’Égalité, organe de l'Association internationale des travailleurs à Genève. Après l'avoir parcourue, j'ai cru devoir refuser, n'ayant trouvé dans cet écrit prétentieux et confus qu'un désir évident, celui de concilier la chèvre bourgeoise avec le chou du prolétariat. L’Égalité ne pouvait y souscrire sans trahir son programme et son nom.

Je rencontrai une seconde fois M. Hess au dernier Congrès de Bâle. Je ne l'aurais point reconnu, tant nous avions vieilli l'un et l'autre, si J.-Ph. Becker ne me l'avait présenté en me le désignant comme l'un des pères de l'Église communiste en Allemagne. Une me fut pas pourtant difficile de reconnaître bientôt, averti comme je l'étais d'ailleurs par la lecture de la dernière œuvre sortie de sa plume, que Becker se trompait étrangement sur son compte. Je trouvai dans l'ancien disciple de Marx[4] un adhérent converti et fanati-

  1. J'en ai déjà cité plus haut quelques passages (pages 210, et 211-213).
  2. Depuis 1844, époque où ils s'étaient vus à Paris.
  3. Parue dans la première moitié de 1869.
  4. On a vu (p. 139) que dans une lettre du 11 mars 1869, Bakounine, me parlant de Hess (que Becker venait de rappeler à son souvenir), disait de lui : « Allemand, aussi savant et plus pratique que Marx, et en quelque sorte le créateur de ce dernier ». Ces deux appréciations, qui paraissent contradictoires, s'expliquent cependant fort bien quand on étudie de plus près le développement des idées socialistes de Marx.