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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/247

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mêlé de réminiscences évangéliques ; on se réunissait, non pour étudier la question sociale, mais pour pousser des acclamations ; c'était l'époque des grands parleurs, des bannières déployées, et des médiocrités ambitieuses et retentissantes. On ne parlait que de fraternité ; on voulait sauver le monde par l'amour : les chefs le disaient, et beaucoup le croyaient ; car, à ce moment, on ne s'était pas encore rendu compte de ce qu'il y a de nécessaire dans l'antagonisme entre les capitalistes et le travailleur ; et on ne savait pas que le socialisme dit à ceux qui le comprennent ce que le Christ disait à ses disciples : « Je ne viens pas apporter la paix, mais l'épée ».

Ce feu de paille s'éteignit bientôt. La discorde se mit dans les rangs de ces socialistes improvisés, recrutés dans toutes les nuances des mécontents, des rêveurs, des blagueurs, et aussi des véritables travailleurs. On fut tout étonné, après avoir fait plus ample connaissance, d'avoir pu croire un moment qu'on était d'accord. On se sépara donc, et même on se prit aux cheveux. Les uns, ambitieux tenaces mais maladroits, rebutés par les travailleurs trompés, voulurent à tout prix continuer l'escalade des dignités et de la renommée : ils s'adressèrent au parti « vert[1] », et conclurent avec lui ce traité si longtemps nié avec serment, avoué aujourd'hui ; d'autres, dégoûtés pour jamais de la vie politique, se retirèrent sous leur tente pour y bouder et n'en plus sortir ; d'autres enfin, reconnaissant qu'on avait fait fausse route, et démêlant chaque jour plus clairement le véritable sens de la question sociale, reprirent par le commencement l'œuvre manquée, étudièrent, discutèrent, s'instruisirent auprès des travailleurs d'autres pays plus avancés, et, une fois plus éclairés, ils se vouèrent corps et âme à une propagande passionnée, mais silencieuse.

Pendant cette période critique, on put croire que l'Internationale, chez nous, allait périr. Les Sections fondées si bruyamment disparaissaient l'une après l'autre ; celles qui subsistaient étaient déchirées de luttes intestines. La bourgeoisie se frottait les mains ; et même quelques socialistes timides, doutant de l'heureuse issue du conflit et ne voyant pas sa nécessité, adressaient d'amers reproches à ceux qu'ils accusaient d'avoir provoqué l'orage.

L'Internationale est restée debout. Elle a repris sa force, elle est plus forte que jamais. La fondation du Progrès, les meetings du Crêt-du-Locle et du Val de Ruz, ont signalé la fin de la crise. Le principe collectiviste, proclamé à Bruxelles et affirmé de nouveau à Bâle, a été accepté et compris par nos sociétés ouvrières ; et de toutes parts on demande l'affiliation à l'Internationale, non plus à celle de M. Coullery, mais à l'Internationale des Congrès, à l'Internationale collectiviste et révolutionnaire.

Dans le Jura bernois, le mouvement devient général, et dans peu de temps chaque village comptera une Section. Après le meeting de Sonceboz, où sont accourus, malgré le mauvais temps, quatre à cinq cents ouvriers pour la plupart encore étrangers à l'Internationale, nous aurons dans le courant de décembre, croyons-nous, le meeting de Bienne, qui fera connaître l'Internationale aux populations agricoles de langue allemande.

À Neuchâtel-ville, une Section centrale et une Section de monteurs de boites viennent de se former, et nous savons qu’elles sont

  1. Les conservateurs, dans le canton de Neuchâtel.