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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/257

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sûr, monsieur, ne sont plus tout à fait des imbéciles ;... ils savent fort bien que vous n'avez d'autre mobile qu'une ambition dévorante, d'autres convictions que celles qui peuvent la servir... À bas le masque, monsieur Adolphe Catalan. »


Les questions locales n'absorbaient pas toute notre attention et toute notre activité. Nous avions les yeux fixés sur ce qui se passait à ce moment autour de nous dans les pays voisins : en France, où une agitation grandissante semblait annoncer la fin prochaine de l'empire ; en Belgique, pays où l'Internationale était devenue une puissance ; en Espagne, où nous avions maintenant des amis personnels, et où les soulèvements des carlistes et des républicains fédéralistes faisaient croire à l'impossibilité de rétablir une monarchie nouvelle ; en Allemagne même, où nous suivions la querelle des lassalliens et du parti d'Eisenach, sans réussir à la comprendre. Pour mon compte, ces questions internationales m'intéressaient beaucoup plus que les querelles de ménage des Genevois, les « potins » du Temple-Unique, — choses que d'ailleurs je ne connaissais que très imparfaitement, et sur lesquelles je n'ai été mieux renseigné que plus tard : Genève, je dois l'ajouter, a toujours été pour moi terre étrangère, et ce n'est que dans les montagnes jurassiennes que je me sentais à l'aise, dans un milieu sympathique et véritablement socialiste.

En France, un nouveau massacre d'ouvriers, à Aubin, dans l'Aveyron (8 octobre), à l'occasion d'une grève de mineurs, avait provoqué l'indignation générale ; et « après la tragédie vint, selon l'usage, la farce judiciaire » : un certain nombre de grévistes, traduits devant le tribunal correctionnel, furent condamnés le 15 novembre à la prison. D'autres grèves, celle des mégissiers de Paris, des fileurs de laine d'Elbeuf et de Darnétal, etc., remplissaient les colonnes des journaux. Dans un vaillant journal hebdomadaire, le Travail, organe des sociétés ouvrières de Paris[1], Varlin avait traité la question de la grève : il avait montré que si, au point de vue des améliorations matérielles, la grève « n'était qu'un cercle vicieux dans lequel les efforts des ouvriers semblaient tourner indéfiniment », à un autre point de vue, « l'organisation des forces révolutionnaires du travail », elle était le moyen par excellence. « Bientôt, ajoutait-il, quand nous serons tous unis, comme nous sommes les plus nombreux et comme la production tout entière est le résultat de notre labeur, nous pourrons exiger la jouissance de la totalité du produit de notre travail. » L’Égalité reproduisit l'article de Varlin dans son numéro du 20 novembre. En même temps, des élections complémentaires à Paris (21 novembre, puis 5 décembre) fournissaient une nouvelle occasion d'agitation. Les socialistes français n'eurent pas de candidats à eux : mais ils profitèrent des circonstances pour éclairer les masses populaires ; leur tactique fut expliquée en ces termes par Varlin dans une correspondance adressée à l’Égalité (n° 46, 4 décembre) : « Nous

  1. Le Travail, qui s'appela d'abord le Commerce, avait été créé par un employé de commerce nommé Douvet. Après avoir duré quelques mois, il dut cesser sa publication en décembre 1869. Une lettre de Varlin à Aubry, de Rouen, du 25 décembre 1869, donne les détails suivants à ce sujet : « Le Travail est bien mort ; il ne reparaîtra plus... Ce journal avait été créé par l'initiative de Douvet et avec ses propres ressources ; le cautionnement avait été emprunté par lui ; enfin, c'était sa propriété ; or, le journal ne faisant pas ses frais, il a fallu s'arrêter. Douvet a eu le tort, dans cette affaire, de ne pas nous prévenir quelque temps à l'avance, car nous aurions peut-être trouvé moyen d'assurer son existence. Il a agi seul, et ce n'est qu'au dernier jour qu'il nous a annoncé qu'il ne pouvait plus aller et qu'il cessait de paraître. La fin désastreuse de la grève des employés de commerce a été le dernier coup porté au Travail, qui avait été fondé avec le concours de la Chambre syndicale des employés de commerce, sous le titre le Commerce. Un grand nombre d'abonnés parmi les employés de commerce avait assuré son existence pendant les premiers temps ; après leur déroute, ils n'ont pas renouvelé leurs abonnements. Prévenus à temps, nous aurions pu parer à cette difficulté. Maintenant, tout est fini de ce côté, il faut nous retourner ailleurs. »