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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/281

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majorité de la population consiste en ouvriers salariés (Wage labourers) ; c'est le seul pays où la lutte des classes et l'organisation de la classe ouvrière par les Trades Unions ont acquis un certain degré de maturité et d'universalité. À cause de sa domination sur le marché du monde, c'est le seul pays où chaque changement dans les faits économiques doit immédiatement réagir sur tout le monde. Si le landlordisme et le capitalisme ont leur siège dans ce pays, par contrecoup les conditions matérielles de leur destruction y sont plus mûries. Le Conseil général étant placé dans la position heureuse d'avoir la main sur ce grand levier de la révolution prolétaire, quelle folie, nous dirions presque quel crime, de le laisser tomber entre des mains purement anglaises ! Les Anglais ont toute la matière nécessaire à la révolution sociale ; ce qui leur manque, c'est l'esprit généralisateur et la passion révolutionnaire : c'est seulement le Conseil général qui peut y suppléer, qui peut ainsi accélérer le mouvement vraiment révolutionnaire dans ce pays, et par conséquent partout. Les grands effets que nous avons déjà produits dans ce sens sont attestés par les journaux les plus intelligents et les plus accrédités auprès des classes dominantes[1], [comme par exemple la Pall Mall Gazette, la Saturday Review, le Spectator et la Fortnightly Review, sans compter les membres dits « radicaux » de la Chambre des communes et de la Chambre des lords, qui il y a peu de temps encore exerçaient une grande influence sur les chefs du mouvement ouvrier anglais.] Ils nous accusent publiquement d'avoir empoisonné et presque éteint l'esprit anglais de la classe ouvrière et de l'avoir poussée dans le socialisme révolutionnaire[2]. [L'unique méthode pour opérer ce changement consiste en ce que nous agissions comme Conseil général de l'Association internationale.] Comme Conseil général nous pouvons initier des mesures (comme par exemple la fondation de la Land and Labour League), qui plus tard se produisent dans l'exécution devant le public comme des mouvements spontanés de la classe ouvrière anglaise[3].

Si l'on séparait le Conseil général d'avec le Conseil régional pour l'Angleterre, quels en seraient les effets immédiats ? Placé entre le Conseil général de l'Internationale et le Conseil général des Trades Unions, le Conseil régional n'aurait aucune autorité[4], et le Conseil général perdrait le maniement du grand levier. Si à l'action sérieuse et souterraine[5] nous eussions substitué l'éclat des tréteaux, nous

  1. Cité par Testut.
  2. Cité par Testut.
  3. Cité par Nettlau.
  4. Testut donne « utilité » au lieu de « autorité » ; mais la traduction allemande montre que c'est une erreur de copie.
  5. Au procès de Leipzig (audience du 16 mars 1872), le président parla d'une Confidentielle Mittheilung (Communication confidentielle) du Conseil général de Londres, datée du 28 mars 1870, dont une partie était rédigée en allemand et une partie en français. Dans la partie française (qui n'était autre chose, ainsi qu'on le verra p. 297, que la « Communication privée » du 1er janvier 1870), il était question, dit le président, du « sérieux travail souterrain » du Conseil général. À cette époque, je ne connaissais pas le contexte, et cette expression isolée de « travail souterrain » me parut devoir s'appliquer à l'organisation occulte et dictatoriale au moyen de laquelle la coterie marxiste tentait de diriger l'Internationale ; c'est en lui donnant cette signification que je la commentai dans le Mémoire de la Fédération jurassienne, pages 82 et 241. Comme on le voit maintenant par l'ensemble du passage, ce n'est pas de cela qu'il s'agissait, mais de l'intervention du Conseil général dans les affaires anglaises, intervention discrète et qui ne recherchait pas « l'éclat des tréteaux ». Liebknecht déclara au tribunal que la partie française de la Confidentielle Mittheilung « avait été probablement rédigée par un Français, mais certainement pas par Karl Marx », et que « les Français, dans l'Internationale, se distinguent par l'emploi d'expressions qui ne sont pas tout à fait correctes, et parfois même exagérées ». Liebknecht se trompait ; on voit par une lettre d'Eugène Dupont à André Murat, du 7 janvier 1870 (Troisième procès de l'Internationale à Paris, p. 37), que c'est lui qui a traduit en français les résolutions du Conseil général du 1er janvier 1870 : donc, le texte original de ces résolutions était en anglais (Dupont ne savait pas l'allemand), et il est évident qu'il avait été rédigé par Marx. — J'aurai à revenir plus loin (p. 292) sur cette Confidentielle Mittheilung du 28 mars 1870, qui concernait Bakounine.