Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/296

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destinée à résumer la pensée commune ; elle était ainsi conçue : « Le meeting de Lausanne déclare que la création de caisses de résistance dans chaque corps de métier et la fédération de ces caisses est le seul moyen de préparer la révolution sociale ». Cette résolution fut votée à l'unanimité : aucun des hommes de la coterie genevoise n'osa lever la main à l'encontre, ni même s'abstenir ; mais nous avions senti combien il y avait en eux de mauvais vouloir et de colère sourde ; même, à l'égard de Perron et de Brosset, leur animosité avait éclaté à plusieurs reprises d'une façon violente[1].

Perron profita de l'occasion offerte par la réunion de Lausanne pour « réveiller les chaleureuses sympathies de l'auditoire en faveur d'un socialiste russe, Netchaïef, dont le gouvernement russe a réclamé l'extradition au Conseil fédéral ; on a pu lire dans divers journaux le récit détaillé de cette infamie à laquelle les autorités suisses paraissent disposées à prêter les mains[2] ». Au retour de sa visite chez Bakounine à Locarno, Netchaïef était venu me trouver à Neuchâtel ; il m'avait expliqué que la police russe, l'accusant d'un crime de droit commun (le meurtre de l'étudiant Ivanof), le recherchait comme assassin et faussaire et faisait des démarches pour obtenir du gouvernement suisse son extradition. Il me communiqua un numéro du journal clandestin imprimé à Saint-Pétersbourg, disait-il, par la société secrète Narodnaïa Rasprava (la Justice du Peuple), dans lequel il était raconté que Netchaïef avait été étranglé par les gendarmes sur l'ordre du comte Mesentsof, chef de la « troisième section », dans un village situé sur la grande route de Sibérie, et il me demanda de publier une traduction de ce récit ; c'était une feinte destinée à dépister la police helvétique. Je n'hésitai pas à faire ce que désirait Netchaïef, et le Progrès publia dans son numéro du 5 février, sous le titre d’Événements de Russie, un long article que je lui envoyai. Quinze jours plus tard (numéro du 19 février), le Progrès insérait un article de Bakounine, non signé, intitulé La police suisse, rappelant les exploits des policiers vaudois, tessinois et genevois à l'égard de Mme  Obolensky, de Mazzini, de Bulewski, et protestant contre les mensonges de « l'ours de Saint-Pétersbourg » qui travestit les réfugiés politiques en criminels de droit commun ; et une lettre signée du nom de Netchaïef, mais probablement rédigée par Bakounine, qui parut également dans la Marseillaise de Paris, dans l’Internationale de Bruxelles et dans le Volksstaat de Leipzig. Enfin, dans le numéro du 5 mars, sous le titre d’Affaire Netchaïef, je publiai de nouveaux détails, entre autres un extrait (non signé) d'une lettre que Bakounine m'avait écrite de Locarno le 1er mars, annonçant qu'un commissaire était arrivé dans cette ville avec ordre de chercher chez lui Netchaïef pour l'arrêter. À ce moment, Netchaïef se trouvait en sûreté : nous lui avions procuré un refuge au Locle, chez des braves gens qui, sans être des nôtres, rendirent volontiers ce service à un proscrit Ce même numéro du Progrès contient la reproduction — continuée dans les deux numéros suivants — d'une lettre écrite par Bakounine à la Marseillaise à l'occasion de la mort toute récente d'Alexandre Herzen.

Je place ici un article du Progrès (n° 9, 26 février) sur la fête du 1er mars, dans lequel, mesurant le chemin parcouru en une année, je rappelais les paroles par lesquelles nous avions, le 1er mars précédent, engagé les ouvriers neuchâtelois à rompre avec la République bourgeoise, et constatais les résultats obtenus par notre propagande. Le voici :


La fête du 1er Mars.

Ouvriers !

Il y a un an, nous vous invitions dans ce journal à ne pas célébrer la fête du 1er mars.

  1. « Il y eut des discussions assez violentes, et l’Égalité travestit de la manière la plus perfide, dans son compte-rendu, les discours des collectivistes. » (Mémoire, p. 102.)
  2. Compte-rendu de l’Égalité, numéro du 19 mars 1870.