Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/314

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Là-dessus ses six hommes donnèrent leur démission de rédacteurs, croyant qu’ils allaient par là empêcher le journal de marcher.

En réponse à notre missive, le Comité Central de Genève déclara que les attaques de l’Égalité avaient eu lieu contre sa volonté, qu’il n’avait jamais approuvé la politique qu’on y avait prêchée, que le journal était maintenant rédigé sous la stricte surveillance du Comité, etc.

Bakounine, là-dessus, se retire de Genève dans le Tessin[1]. Il n’a plus la main, en ce qui concerne la Suisse, que dans le Progrès du Locle.

Bientôt après, Herzen mourut. Bakounine, qui depuis l’époque où il avait voulu devenir le chef du mouvement ouvrier européen, avait renié son ancien ami et patron Herzen, emboucha, aussitôt après la mort de celui-ci, la trompette de louange. Pourquoi ? Herzen, quoique personnellement riche, se faisait payer vingt-cinq mille francs par an pour la propagande par le parti panslaviste et pseudo-socialiste en Russie, avec lequel il entretenait des relations amicales. Par son panégyrique, Bakounine a fait dériver sur lui-même cet argent, et il a ainsi recueilli l’héritage de Herzen — malgré sa haine de l’héritage[2] — pécuniairement et moralement, sine beneficio inventarii[3].

En même temps une jeune colonie de réfugiés russes[4] s’est établie à Genève, étudiants émigrés dont les intentions sont véritablement honnêtes, et qui prouvent leur honnêteté en faisant de la lutte contre le panslavisme le point principal de leur programme[5]. Ils publient à Genève un journal, la Voix du Peuple[6]. Ils ont écrit à Londres il y a environ deux semaines, ont envoyé leurs statuts et leur programme, et ont demandé l’autorisation de constituer une Section russe. Elle leur a été accordée. Dans une lettre particulière à Marx, ils l’ont prié de les représenter provisoirement dans le Conseil général. Accepté également. Ils ont annoncé en même temps — et semblaient vouloir s’excuser à ce sujet auprès de Marx — qu’ils devaient prochainement arracher publiquement le masque à Bakounine[7], attendu que cet individu tient deux langages tout à fait différents, l’un en Russie, l’autre en Europe. Ainsi le jeu de cet intrigant des plus dangereux sera — sur le terrain de l’Internationale du moins — bientôt uni.


Max Nettlau fait au sujet de la Confidentielle Mittheilung du 28 mars 1870, des personnes à qui elle fut communiquée, et de l’impression qu’elle

  1. Bakounine avait quitté Genève plus de deux mois avant le changement dans la rédaction de l’Égalité.
  2. En français dans le texte.
  3. On voit que cette ignoble calomnie, dont la paternité avait été attribuée en son temps à Borkheim, qui la publia sous sa signature dans le Volksstaat, le 30 avril 1870, avait été répandue en premier lieu, « confidentiellement », par Marx. Probablement, à la source de cette histoire, il y a le fait du fonds Bakhmétief, perfidement dénaturé : les vingt-cinq mille francs remis en dépôt sont transformés en une pension annuelle, et le socialiste Bakhmétief est devenu un Comité panslaviste.
  4. Dans le texte, les mots « Colonie de réfugiés » sont en anglais : Refugee Colony.
  5. Ne pas oublier qu’Outine et Troussof, ces émigrés « véritablement honnêtes » ont plus tard imploré et obtenu le pardon du gouvernement russe, et ont fini leurs jours en Russie comme sujets fidèles du tsar.
  6. Lire : « la Cause du Peuple ».
  7. Outine « arrachant le masque à Bakounine » ! N’est-ce pas grotesque ?