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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/366

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les Conseils législatifs et exécutifs (ce sont les termes mêmes de la résolution de la minorité du Congrès), ou bien s’abstenir de toute participation aux élections, et consacrer toute leur activité à faire de la propagande, à renforcer leurs Sections, à se fédérer avec les Sections voisines, à organiser sur un pied solide leurs caisses de résistance.

Voyons ce qui arrivera, si les ouvriers genevois choisissent la première alternative.

Il y a deux mille internationaux à Genève. Sur ce nombre, combien y en a-t-il qui jouissent du droit électoral ? La moitié ? C’est trop dire, probablement. Cependant, posons que la moitié des internationaux de Genève soient électeurs : voilà donc mille votants.

Que feront ces mille votants ? Donneront-ils l’appui de leurs suffrages à l’un des partis politiques existants, les radicaux et les indépendants[1], ou bien se constitueront-ils en troisième parti ?

Voilà une première question qui sera déjà la cause de bien des discussions. Chacun le sait, il y a dans l’Internationale bon nombre d’ouvriers qui, par tradition, se rattachent encore à l’un ou à l’autre des partis politiques. Ceux-là iront voter, les uns pour Fazy, les autres pour la « ficelle » ; quand ils se rencontreront au Cercle international, pourront-ils se serrer la main avec cordialité ? n’est-il pas probable au contraire qu’ils se querelleront, qu’ils s’échaufferont, et le Cercle ouvrier ne pourrait-il, à la veille d’une élection, se trouver transformé en succursale de la boîte à gifles[2] ? On nous dit même que cela a déjà failli arriver une fois. Prenez-y garde, ouvriers genevois : c’est la bourgeoisie qui rirait bien de vous voir vous donner des bourrades pour ses beaux yeux.

Mais supposons que cela ne se passera pas ainsi, et mettons les choses au mieux. Nous admettons que tous les internationaux ont rompu à jamais avec les partis bourgeois, et qu’ils forment à Genève un seul parti compact et résolu d’ouvriers socialistes. Très bien. Ce parti aura-t-il la majorité dans les élections ? Sera-t-il assez fort pour l’emporter sur les deux autres qui se coaliseront contre lui ? Non, c’est impossible : il suffit de se rappeler qu’il y a à Genève huit mille électeurs prenant part au vote ; les ouvriers seront à peine un contre quatre, ils seront battus, c’est clair comme le jour.

Cependant, allons plus loin, et accordons que les ouvriers auront pu triompher, au moins partiellement, dans les élections. Nous supposons qu’ils aient fait passer deux ou trois des leurs au Conseil d’État[3]. Ces ouvriers devenus conseillers d’État resteront-ils fidèles au socialisme ? N’est-il pas probable que le pouvoir leur tournera la tête, leur corrompra le cœur, et qu’aussitôt arrivés à cette position bourgeoise par excellence, ils renieront leurs anciennes convictions ? L’histoire nous apprend que cela est toujours arrivé ainsi.

Nous voulons admettre néanmoins, pour continuer notre raisonnement, que les socialistes placés de la sorte dans le gouvernement de Genève seraient des hommes incorruptibles, des êtres exempts de toutes les faiblesses de la nature humaine. Une fois au Conseil d’État, que feront-ils ?

  1. Conservateurs.
  2. Nom populaire, à Genève, du Palais électoral, où les citoyens se réunissaient à cette époque pour voter, les jours d’élection.
  3. Pouvoir exécutif cantonal.