Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/370

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Voilà une expérience qui devrait faire ouvrir les yeux aux partisans de la législation directe.

On croit avoir fait merveille parce qu'on a obtenu que le peuple voterait directement sur toutes les lois, — et voilà que le peuple repousse les bonnes lois.

C'est que, — suivant l'expression énergique d'un orateur dans un de nos meetings, — avec nos institutions sociales actuelles, le suffrage universel, le vote populaire, n'est et ne peut être qu'une blague.

Aussi longtemps qu'il y aura d'un côté des capitalistes ayant entre les mains tous les moyens de corruption et d'intimidation, et de l'autre côté une quantité de pauvres diables qui craignent de manquer de pain et qui sont habitués à la soumission au plus fort, le vote populaire — sauf dans des circonstances exceptionnelles et extraordinaires — ne sera pas un instrument de révolution et de progrès, ce sera un instrument de gouvernement et de réaction.

Voilà ce que nos amis de Zurich et d'Allemagne refusent de comprendre.

Pourquoi une partie des ouvriers zuricois ont-ils voté contre la loi sur les fabriques ? Pour deux raisons : d'abord, parce que les patrons le voulaient ; ensuite, parce que la loi, en diminuant les heures de travail de la femme et de l'enfant, diminuait du même coup les maigres ressources du ménage ouvrier, et qu'alors ceux qui avaient déjà à peine de quoi manger auraient décidément souffert de la faim.

N'est-ce pas bien peu connaître le cœur humain que d'exiger de la majorité des électeurs un degré d'héroïsme qui leur permette de braver à la fois et les menaces des chefs de fabrique et les souffrances de la misère, — et cela dans quel but ? Pour voter une loi qui contient sans doute des réformes utiles, mais qui laisse subsister la base même des abus, qui laisse le prolétaire à la merci du propriétaire, et qui momentanément aggrave même la situation déjà si pénible de l'ouvrier.

Si vous voulez des électeurs indépendants, mettez-les en possession de leurs instruments de travail : une fois qu'ils seront soustraits à la domination du capital, une fois qu'ils seront réellement libres, les manœuvres de la réaction resteront sans effet sur eux ; alors le vote du peuple sera l'expression réelle de la volonté du peuple. Alors seulement, mais pas avant.

Voilà pourquoi, tant que la révolution n'aura pas établi l'égalité et la liberté complètes, nous refuserons de prendre au sérieux le suffrage universel, nous refuserons d'aller voter.

Le triste résultat du vote du 24 avril a-t-il diminué un peu la confiance sans bornes que nos amis de Zurich donnaient à la législation directe ? Nous l'espérons. Du moins, voici ce que dit la Tagwacht à ce sujet :

« Samedi soir, quelques ouvriers sont venus nous trouver, des hommes ordinairement paisibles et modérés. Une sombre indignation éclatait dans leurs yeux. Ils nous dirent : Nous avons acquis la conviction que, contre cette bande, ce ne sont plus les armes du raisonnement qu'il faut employer. »

Voilà qui est bien dit. Maintenant, amis de Zurich, agissez en conséquence.