Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/384

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Nos amis les Parisiens Giraudier, Lafargue et Cheminet, dont vous avez publié une lettre, ont dû quitter Genève et sont venus ici avec deux autres. Nous les avons reçus et nous avons réussi à leur procurer du travail ; nous avons fait pour eux comme des internationaux doivent faire pour tous leurs membres, sans s’inquiéter s’ils sortent de Paris ou d’ailleurs.

La conduite de certains Genevois à l’égard de ces compagnons et leur mauvaise volonté contre nous, malgré tout ce que nous faisons pour eux, nous a fait beaucoup de peine. Néanmoins, nous ferons toujours, dans la mesure de nos forces, tout ce que nous pourrons pour soutenir nos frères travailleurs, quelle que soit la ville qu’ils habitent, sans nous inquiéter de ce qu’ils diront de nous : il suffit qu’ils soient malheureux pour avoir droit à notre appui.


Dans son numéro suivant (2 juillet), la Solidarité eut à publier une fâcheuse nouvelle : Un ouvrier tailleur, venu de Lausanne où il s’était acquis, par un grand étalage de dévouement à la cause socialiste, une certaine popularité, et établi depuis quelques mois à la Chaux-de-Fonds, Henri Chevalley, dirigeait dans cette ville un atelier coopératif, et il y avait fait entrer comme placier le jeune graveur Cagnon, dont j’ai eu à mentionner le nom à propos du Congrès de la Chaux-de-Fonds, un beau parleur, qui lâcha volontiers le burin pour se faire courtier. À la suite de circonstances qui sont demeurées pour nous un mystère, ces deux hommes se décidèrent à commettre un vol, et dans la nuit du 28 au 29 juin ils disparurent après avoir mis l’atelier des ouvriers tailleurs au pillage. La Solidarité annonça leur fuite en ces termes :


« Nous signalons à toutes les Sections de l’Internationale deux voleurs, les nommés Henri Chevalley et Émile Cagnon. Après avoir trompé de la manière la plus indigne la confiance de leurs associés, ils ont quitté clandestinement la Chaux-de Fonds, en emportant des marchandises volées. On ignore de quel côté ils se sont dirigés. Nous mettons en garde les internationaux contre des tentatives possibles d’escroquerie de la part de ces individus. »


Les deux fugitifs ne donnèrent jamais de leurs nouvelles, et je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. Chevalley, d’après ce que m’ont dit des personnes qui l’ont connu de plus près, était un coquin, mais le jeune Cagnon, un tout nouveau venu parmi nous, semble avoir été plutôt un caractère faible, et s’être laissé entraîner par l’ascendant d’une volonté dont il subissait la domination. Cette aventure, qui me causa un vif chagrin, a été pour Marx un thème à aimables plaisanteries : dans une note de sa brochure L’Alliance de la démocratie socialiste (p. 19), il dit de Chevalley et de Cagnon : « Ces deux individus avaient fait preuve de révolutionnarisme anarchique en volant l’Association coopérative des tailleurs de la Chaux-de-Fonds ».

Cependant, le lock-out des patrons du bâtiment, à Genève, commencé le 13 juin, se prolongeait ; car les plâtriers-peintres tenaient bon, encouragés à la résistance par leurs camarades des autres métiers. Les ouvriers de la « fabrique », en cette circonstance, firent preuve de solidarité, et une Adresse aux ouvriers du bâtiment, votée par eux le 17 juin, annonça « qu’ils s’imposeraient, durant toute la grève, des cotisations ou souscriptions extraordinaires ». En dehors de Genève, les principales manifestations de sympathie vinrent du Jura. À Saint-Imier, une grande assemblée populaire, réunie dès le 15 juin, sous la présidence d’Ali Eberhardt, nomma une commission centrale de secours pour l’organisation des souscriptions, et protesta énergiquement contre toute velléité d’intervention militaire de la part des autorités. À la Chaux-de-Fonds, le 20 juin, une assemblée