Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/403

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Depuis le commencement de la guerre, les internationaux français, ceux de Paris en particulier, après avoir protesté de toutes leurs forces contre une lutte fratricide, cherchaient l’occasion favorable pour renverser l’empire ; ils voulaient proclamer la République sociale et offrir la paix à l’Allemagne ; puis, si celle-ci refusait, faire, non au peuple allemand, mais au gouvernement allemand, la guerre révolutionnaire, avec l’espoir de trouver dans les socialistes allemands un puissant appui. La République sociale pouvait être proclamée aussi en Allemagne, et alors la révolution internationale s’accomplissait.

« Malheureusement, beaucoup des membres les plus actifs de l’Internationale parisienne étaient alors sous les verroux, à la suite du troisième procès des Sections de Paris : Avrial, Theisz, Robin, Malon, Duval, etc. ; Varlin était réfugié en Belgique. Il en résultait que l’organisation d’une action commune était beaucoup plus difficile. Néanmoins un comité d’action fut institué, et il fut résolu que le jour de la rentrée du Corps législatif (9 août), le Palais-Bourbon serait envahi et qu’on tenterait une révolution. L’arrestation du chef désigné du mouvement, Pindy, qui eut lieu le matin même du jour fixé, fit avorter ce projet. Mais on ne renonça pas à la lutte, et on attendit une nouvelle occasion[1]. »

Dans les premiers jours d’août, avant que les armées en fussent venues aux mains, nous étions fort perplexes, et j’exprimai dans la Solidarité (numéro du 6 août) notre état d’esprit en ces termes :


Que faut-il faire ?

Quelle attitude l’Internationale doit-elle prendre en présence des événements ?

Question à laquelle il est d’autant plus difficile de répondre que ces événements sont encore à venir, et que personne ne peut prévoir quelle sera la situation de l’Europe dans quinze jours.

Il nous paraît, pour le moment, que l’Internationale doit se borner à regarder faire, sans même essayer, soit par le refus du travail, soit par quelque autre moyen, d’empêcher de s’accomplir les événements qui se préparent. Deux grandes puissances militaires vont s’entredévorer : le socialisme ne peut que profiter des blessures mutuelles qu’elles se feront. Puisque nous avons obtenu cet immense résultat, que les deux peuples que leurs maîtres ont déclaré en état de guerre, au lieu de se haïr, se tendent la main, nous pouvons attendre avec confiance le dénouement.

Les gouvernements civilisateurs ont donné la mesure de ce qu’ils savent faire pour le bien de l’humanité ; la démocratie bourgeoise, personnifiée dans la Ligue de la Paix et de la Liberté, a pris soin de faire éclater à tous les yeux sa stérilité et sa faiblesse[2]. Sur les ruines que vont faire les deux armées ennemies, il ne restera d’autre puissance réelle que le socialisme. Ce sera alors, pour l’Internationale, le moment de se demander ce qu’elle doit faire.

D’ici là, soyons calmes et veillons.

  1. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 172.
  2. La Ligue de la paix et de la liberté avait tenu le 24 juillet à Bâle un Congrès, à propos duquel la Solidarité avait dit ceci dans son numéro précédent (30 juillet) :
    « Les rares orateurs qui ont parlé, et dont les principaux étaient M. et Mme Gœgg, ont débité des phrases creuses sur la fraternité des peuples ; il paraît même que leurs discours ont été excessivement modérés, « par égard pour la neutralité suisse », disent les journaux. Espérons que c’est la dernière fois que la Ligue de la paix et de la liberté fait parler d’elle, et que les quelques hommes de progrès qui peuvent s’y trouver comprendront qu’il n’y a qu’un moyen de travailler sérieusement à l’avènement de la paix et de la justice : se joindre à l’internationale. »