Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/431

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disaient : « Il faut agir, nous perdons le temps, nous allons être envahis

par la garde nationale bourgeoise ; il faut arrêter immédiatement le préfet[1], le maire, le général Mazure, » — on ne les écouta pas. Toutefois l’ordre de battre la générale dans les quartiers ouvriers fut donné, et quelques bataillons arrivèrent de la Guillotière et de la Croix-Rousse. Mais les autorités, restées libres de leurs mouvements, faisaient de leur côté battre le rappel, les bataillons des gardes nationaux de leur parti commençaient à se masser devant l’hôtel de ville, et les manifestants sans armes leur cédaient la place. Cluseret, loin de songer à une résistance quelconque, ne pensait plus qu’au moyen de reconquérir les bonnes grâces du pouvoir : il engagea les membres du Comité à se retirer, et alla lui-même chercher les conseillers municipaux réactionnaires, réunis dans le voisinage, en les invitant à venir reprendre leurs sièges[2]. Bakounine croyait encore à la possibilité de sauver la situation ; il fit son possible pour décider les membres du Comité du Salut de la France à montrer de l’énergie ; on pouvait, disait-il, déterminer les gardes nationaux ouvriers à soutenir le mouvement et à opposer la force à la force : une étincelle suffirait pour mettre le feu aux poudres. Mais Albert Richard avait peur des responsabilités, et son avis prévalut : le Comité révolutionnaire, après avoir parlementé avec les conseillers municipaux, évacua l’hôtel de ville, et se contenta de rédiger, après sa retraite, un procès-verbal disant : « Les délégués du peuple n’ont pas cru devoir s’imposer par la violence au Conseil municipal, et se sont retirés quand il est entré en séance, laissant au peuple le soin d’apprécier la situation ». Les conseillers municipaux ouvrirent leur séance à six heures et demie, et, tout d’abord, prirent l’engagement qu’aucune poursuite ne serait exercée à raison des événements de la journée ; ils votèrent le rétablissement à trois francs de la paie des ouvriers des chantiers nationaux : mais, quant aux mesures révolutionnaires qu’avait proposées le Comité du Salut de la France, le Conseil se déclara incapable de les mettre à exécution, parce qu’elles étaient en dehors de ses attributions légales.

Au moment où, grâce à la trahison de Cluseret, le maire Hénon rentrait à l’hôtel de ville, avec une escorte de gardes nationaux bourgeois, il rencontra Bakounine dans la salle des Pas-Perdus : il le fit empoigner par ses acolytes, et enfermer aussitôt dans un réduit du sous-sol. Au premier moment, on ne s’aperçut pas de la disparition du vieux révolutionnaire ; dans le tumulte général, on n’avait pas pris garde à l’incident. Ce fut Ozerof qui s’inquiéta de ne plus voir Bakounine, et qui s’étant mis à sa recherche, apprit enfin ce qui s’était passé. Aussitôt il alla chercher sur la place une compagnie de francs-tireurs, pénétra avec eux dans l’hôtel de ville, et délivra le prisonnier. Mais à ce moment le Comité avait déjà disparu, le Conseil municipal l’avait remplacé : Bakounine, se voyant seul, n’avait plus qu’à s’éloigner. Il trouva pour la nuit une retraite chez un ami. Le lendemain soir, ayant appris qu’un mandat d’amener avait été lancé contre lui, il partit pour Marseille, après avoir écrit à Palix une lettre dont je reproduis les principaux passages :

  1. Le préfet, Challemel-Lacour, fut séquestré pendant un moment par quelques insurgés ; le surlendemain, Albert Richard, dans une lettre au Progrès de Lyon (1er  octobre), plaida pour cet acte illégal les circonstances atténuantes : « Si l’on a envahi l’hôtel de ville,… si M. Hénon n’a pas été écouté, si M. Challemel-Lacour a été arrêté, c’est que l’absence des conseillers municipaux du lieu des séances et le manque de réponse ont impatienté le peuple ; vous lui accorderez bien que dans un pareil moment il a le droit de s’impatienter ? »
  2. « Ce fut sur mes instances pressantes qu’ils se décidèrent à venir reprendre leurs sièges de conseillers laissés libres par la foule qui se retirait à ma voix… Loin d’encourager le mouvement du 28 septembre auquel j’ai été mêlé à mon insu, j’ai contribué a le faire avorter, parce que ce que je connaissais des antécédents de Bakounine ne me permettait pas d’ignorer d’où venait le vent qui le poussait. » (Lettre de Cluseret à la Patrie suisse, 8 octobre 1874.)