historique, je me chargerais de Brest, de Rouen, de Paris et de la mise au point des autres relations. La brochure aurait 32 pages, 48 au maximum ; imprimée à 500 exemplaires, elle coûterait 35 fr. par feuille, plus 12 à 15 fr. de brochage, 10 fr. de ports, en tout 130 francs. Joukovsky aurait à m’envoyer son manuscrit pour le 10 février.
La capitulation de Paris (28 janvier) permit de communiquer de nouveau avec la grande ville, qui était restée séparée de nous pendant quatre
mois et demi (depuis le 19 septembre). Il faut avoir vécu en ce temps-là
pour savoir ce que c’est qu’une Europe sans Paris, et combien noire est la
nuit quand la capitale de la Révolution est éclipsée. Oh ! ces longs mois
durant lesquels la voix de Paris était muette, durant lesquels Bismarck
seul avait la parole, je n’y puis penser sans frissonner encore au souvenir
de l’affreux cauchemar.
Je n’ai pas parlé de ma situation personnelle durant ce sombre hiver : mes souvenirs, en effet, n’ont droit à figurer dans ces pages que pour ce qui se rapporte à l’histoire de l’Internationale, il suffira de dire que la détresse qui m’avait contraint à recourir à la bourse de Blin, en septembre, se prolongea pendant bien des mois, l’imprimerie n’ayant plus ou presque plus de travail : ce fut, pour ma jeune femme, une période d’angoisses et de privations courageusement supportées. À la misère qui assiégeait le foyer domestique se joignaient les douleurs que nous faisaient éprouver chaque jour les nouvelles des triomphes de la réaction et de la conquête. Une petite fille nous était née ; et lorsque, pour l’endormir ou la calmer, je la berçais dans mes bras, je lui chantais une vieille chanson de Béranger qui exprimait bien nos sentiments, — celle-ci :
Au bruit des lugubres fanfares,
Enfant, vos yeux se sont ouverts :
C’était le clairon des barbares
Qui nous annonçait nos revers.
Au milieu des alarmes,
Entourés de débris,
Vous mêliez à nos larmes
Votre premier souris !
Fréquemment, des officiers prussiens, en uniforme, venaient à Neuchâtel, où ils rendaient visite à des familles de l’aristocratie du lieu : on les rencontrait dans les rues, l’air insolent et raide ; ils semblaient marcher en pays conquis ; une envie folle nous prenait de leur crier: Vive Paris ! et plus d’un robuste ouvrier, qui faisait le poing dans sa poche, les suivait d’un regard chargé de haine. Nous détestions dans les officiers prussiens l’incarnation de la tyrannie brutale : nous ne savions pas encore ce qu’allaient être les officiers versaillais !
J’écrivis le 1er février à Varlin, par l’intermédiaire d’une personne sûre, pour le prier de m’envoyer de ses nouvelles et de celles des amis, et lui donner des nôtres. Mais les lignes de chemin de fer étaient coupées sur bien des points, et ce n’était que par un long circuit qu’on pouvait arriver à Paris : ma lettre mit vingt jours à faire le voyage. La réponse, que je donnerai plus loin, mit aussi un temps assez long à me parvenir.
Le 29 janvier[1] et les jours suivants, j’assistai au lugubre défilé de l’armée de Bourbaki, qui traversa presque tout entière la ville de Neuchâtel.
- ↑ On lit dans l’Union libérale, de Neuchâtel, du 10 janvier 1871 : « Hier, à midi, est arrivé un premier convoi de quatre cents blessés, malades ou invalides de l’armée de Bourbaki »