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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/462

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suivant, après avoir achevé l’installation définitive de l’orphelinat, nous reviendrions l’un et l’autre à Neuchâtel chercher notre famille. Ma femme, bien qu’un peuémue à la pensée de me voir entrer dans la fournaise parisienne, n’avait pas dit non. Quant à l’imprimerie, on ferait revenir de Paris mon frère, qui y était resté pendant le siège et y avait servi successivement comme franc-tireur et comme garde national, et il en reprendrait la direction. J’allai sur-le-champ à la banque Pury et Cie, où l’imprimerie avait un compte-courant, prendre une somme de trois cents francs, et à la chancellerie d’État me faire faire un passeport[1]. Mais à mon retour chez mes parents, tout était changé : dans l’intervalle, mon père, qui voyait mon projet de mauvais œil, et que mon départ précipité allait mettre dans l’embarras, avait parlé à Buisson, et celui-ci, à sa demande, avait consenti à modifier son plan. Il me déclara donc que, réflexion faite, il trouvait plus sage d’attendre encore : ma présence n’était pas indispensable en ce moment, et il vaudrait mieux remettre mon départ au mois suivant ; je pourrais alors emmener avec moi ma famille, au lieu d’être obligé de revenir la chercher. Je n’avais qu’à m’incliner devant sa décision ; et il partit seul, par Bâle. Je m’étais trouvé, ce jour-là, à l’un de ces tournants de la destinée qui décident de tout un avenir : si j’avais accompagné Buisson à Paris, j’aurais été mêlé aux événements de la Commune, et j’eusse peut-être partagé le sort de mon ami Varlin et de tant d’autres.


Le 24 février, j’écrivais à Joukovsky :


Tu as envie de savoir mon avis sur la part que doivent prendre les Français au mouvement politique ? Mon Dieu, mon cher, tout cela est fort complexe. Il faut être libre pour choisir la meilleure tactique. Je pense que tous les moyens sont bons si on peut être réellement utile à la cause. Ce qu’il faut combattre, à mon avis, ce ne sont pas tant les candidatures ouvrières, la participation des ouvriers aux luttes politiques, etc., car tout cela, à un moment donné, peut avoir son utilité. Ce qu’il faut combattre, c’est l’idéal des communistes allemands, ce fameux Volksstaat. Ils veulent la candidature ouvrière pour arriver au Volksstaat. Pour moi, je suis prêt à accepter les candidatures ouvrières, mais à la condition qu’elles nous mènent à l’an-archie. Or en ce moment, en France, elles ne peuvent avoir que cette dernière signification.


Et, à propos des mouvements du 31 octobre et du 22 janvier à Paris, sur lesquels j’avais été enfin renseigné par F. Buisson :


Ces deux insurrections, loin d’être blanquistes, ont été l’œuvre de l’Internationale. En particulier, le mouvement du 22 janvier a été dirigé par Malon en personne.


Revenant sur la « brochure d’actualité », j’annonçais que Gaspard Blanc[2] m’avait répondu et s’était chargé du récit des événements de Lyon, et qu’il offrait d’engager Bastelica à écrire celui des événements de Mar-

  1. Je l’ai encore : il est daté du 21 février 1871.
  2. Lankiewicz, Gaspard Blanc, Parraton, d’autres encore, avaient été remis en liberté provisoire en février ; il n’y avait pas eu ordonnance de non-lieu à leur égard, car les auteurs de la journée du 28 septembre furent poursuivis, dans l’été de 1871, et condamnés par un tribunal militaire ; le 1er conseil de guerre prononça, le 13 août 1871, les condamnations suivantes : accusés présents : François Parraton, cinq ans de détention ; Adrien Schettel, un an de prison : contumax ; Michel Bakounine, Albert Richard, Gaspard Blanc, Saignes, Rivière, Bastelica, Combe, Cluserel, Lankiewiez (il était mort), tous condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée.