Gambuzzi ni lettre ni argent, de Louguinine non plus. — 17. Point de lettres, pas d’argent. En poche 99 centimes. Reste 55 centimes. — 18. Lettre de Gambuzzi sans argent. Prends 110 fr. chez Mme Pedrazzini. Pars demain.
Le 19 mars Bakounine se rendit à Florence avec l’argent emprunté à sa propriétaire ; il y vit Louguinine, un Russe avec lequel il avait été en relations[1], et qui lui promit d’intervenir activement auprès de ses frères, en Russie, pour lui faire obtenir le paiement de ce qui lui était dû comme sa part de l’héritage paternel ; et il rentra à Locarno le 3 avril, rapportant 200 fr. que lui avaient procurés ses amis Friscia, Mazzoni et Fanelli, et la promesse que Gambuzzi emprunterait pour lui un millier de francs à quelque banquier de Naples.
Le jour où Bakounine partait pour Florence, je lisais à Neuchâtel la
dépêche, affichée à la porte du château, qui annonçait le mouvement du
18 mars. Le gouvernement avait abandonné Paris, l’hôtel de ville était
occupé par le Comité central de la garde nationale. Qu’était-ce que le
Comité central ? Au milieu de la liste de ces inconnus, je voyais le nom
d’un des nôtres, — justement de celui qui, depuis le Congrès de Bâle,
faisait partie de notre intimité, — le nom de Varlin. Qu’allions-nous faire ?
Je télégraphiai à Spichiger et à Schwitzguébel. Ils accoururent. Nous décidâmes d’envoyer sur-le-champ quelqu’un à Varlin, pour savoir de lui le
vrai caractère du mouvement, et lui demander ce qu’il attendait de nous.
Il fallait que notre émissaire fût un homme non surveillé, qui n’excitât
pas les soupçons. Spichiger se chargea de trouver quelqu’un ; et le lendemain ou le surlendemain il m’envoyait un jeune ouvrier guillocheur du
Locle, Émile Jacot. Je remis à celui-ci quelques lignes pour Varlin, tracées
au crayon sur les feuillets d’un cahier de papier à cigarettes. Le voyage
était encore fort long ; on n’allait toujours pas directement de Neuchâtel à
Paris : Jacot n’arriva que le samedi 20 au matin. Il se fit indiquer l’hôtel de
ville, mais les sentinelles ne l’y laissèrent pas pénétrer. Après avoir inutilement parlementé, il finit par s’attabler chez un marchand de vin, dans
une rue voisine ; là, son air étranger, ses propos et ses questions attirèrent bientôt l’attention, et éveillèrent les soupçons. On alla chercher la
garde, et on l’arrêta comme espion. Il déclara qu’il ne parlerait que devant
le Comité central, et c’est ainsi qu’il franchit, entouré de baïonnettes, la
porte de cet hôtel de ville dont on lui avait refusé l’entrée. On l’introduisit
dans une pièce attenant à la salle où délibérait le Comité central, et on
prévint Varlin, dont notre envoyé avait indiqué le nom : par la porte
entr’ouverte, Jacot pouvait voir les membres du Comité assis autour d’une
grande table et discutant avec animation. Varlin sortit ; après avoir lu
mon message, il dit à Jacot que les dépêches nous avaient donné une idée
inexacte de la situation ; qu’il ne s’agissait pas de révolution internationale ; que le mouvement du 18 mars n’avait eu d’autre but que la
revendication des franchises municipales de Paris, et que ce but était
atteint ; que les élections étaient fixées au lendemain 26, et qu’une fois le
Conseil municipal élu, le Comité central résignerait ses pouvoirs et tout
- ↑ À son sujet, Bakounine écrivait à Ogaref le 5 avril (en russe), deux jours après son retour de Florence : « Je suis très content de L[ouguinine] ; j’ai retrouvé en lui un ancien ami ; c’est toujours le même chevalier, le dernier Mohican de la noblesse, seulement avec un nouveau souci de coopératives. Il se consacre à mon affaire [la réclamation que Bakounine adressait à ses frères] sincèrement, chaleureusement et de bonne grâce ; il y a lieu d’espérer qu’il va l’arranger. » (Correspondance de Bakounine.)