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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/557

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Sections de former des groupes séparatistes sous le nom de Sections de propagande, etc. » ; par conséquent le groupe « de propagande et d’action révolutionnaire socialiste », formé par « les révolutionnaires socialistes français et autres, victimes de tous les régimes despotiques, et obligés de chercher un refuge à Genève[1] », se voyait qualifié de « séparatiste », et se trouvait bien nettement mis à l’index. Cette situation, loin de lui être défavorable, lui amena de nouveaux adhérents ; et Lefrançais, Malon, Ostyn, d’autres encore, sans en être membres, car ils appartenaient toujours à la Section centrale (Temple-Unique), prenaient fait et cause pour lui. Les socialistes du Jura, qui depuis deux années supportaient seuls le poids de la lutte pour la liberté, contre les intrigues de la coterie Marx-Outine, ne pouvaient qu’être enchantés de voir du renfort leur arriver, et de constater que toute la proscription communaliste en Suisse, après s’être rendu compte de la situation, se prononçait dans le même sens qu’eux.

La circulaire privée du Conseil général, Les prétendues scissions dans l’Internationale (5 mars 1872), dit, p. 14, que « dans une lettre de Malon, du 20 octobre 1871, cette nouvelle Section adressa au Conseil général pour la troisième fois la demande de son admission dans l’Internationale ». Ce passage tendrait à faire croire qu’à ce moment-là Malon était membre de la Section de propagande ; or il n’en est rien, comme l’a expliqué Jules Montels (lettre au Bulletin de la Fédération jurassienne, n°s 10-11, 15 juin 1872) : « Dans une des séances d’octobre dernier, — écrit Montels, — à laquelle assistait Malon, non comme membre de la Section, mais simplement à titre d’international, — il était encore membre de la Section du Temple Unique, — Malon combattit vivement la proposition que j’avais faite de rompre avec Londres, parce que, disais-je, la résolution de la Conférence touchant les Sections de propagande montre clairement qu’il y a parti pris de nous évincer. Malon, je le répète, non-seulement combattit ma proposition, mais proposa de renouveler une dernière tentative de conciliation auprès de Londres. Sa proposition fut acceptée. »

Le moment était venu pour nous d’examiner à nouveau la proposition qui avait été faite dès le mois d’octobre 1870 par la Section de Neuchâtel : de constituer une Fédération nouvelle, qui prendrait le nom de Fédération jurassienne, et, par là, de constater que l’ancienne Fédération romande, dont nous nous considérions comme les authentiques continuateurs, avait cessé d’exister. Il était nécessaire, en outre, de nous prononcer au sujet des résolutions de la Conférence de Londres, et d’affirmer bien haut que nous ne les acceptions pas et que nous en appelions à un Congrès général. Nous nous concertâmes, et l’opinion unanime fut qu’il convenait de convoquer dans le plus bref délai possible un Congrès de nos Sections, pour aviser.

De son côté, la Section de propagande de Genève, menacée dans son existence même par les décisions de la Conférence, avait résolu de protester, et de communiquer sa protestation aux diverses Fédérations de l’Internationale, en les engageant à se joindre à elle. Elle vota, dans une séance tenue dans les derniers jours d’octobre, une résolution à cet effet, et délégua Joukovsky auprès des Sections du Jura pour la leur communiquer.

Joukovsky vint à Neuchâtel le dimanche 29 octobre, et fit part à la Section réunie de l’objet de sa mission. La Section de Neuchâtel, délaissée pendant la guerre par un grand nombre de ses membres, avait repris de la vie, et avait été renforcée par l’adhésion de quelques réfugiés français qui habitaient la ville, Gaffiot, Rougeot, les deux Berchthold, Huguenot, Mahler, Jeallot, Bastelica, qui avait dû quitter Londres, était arrivé à Neuchâtel dans le courant d’octobre, et travaillait comme typographe à l’imprimerie G. Guillaume fils[2]. Malon se trouvait en ce moment à Neu-

  1. Préambule des statuts de la Section.
  2. Bastelica, en adressant à Joukovsky sa lettre du 28 septembre (voir p. 216), avait eu pour but principal de lui parler de son désir de venir en Suisse. Il écrivait : « J’ai appris un peu de typographie en Espagne : je désirerais continuer ce métier ; trouverais-je les éléments en Suisse ? Réponds-moi vite. » Joukovsky répondit qu’il n’y avait rien à faire à Genève, et il engagea son correspondant à m’écrire, ce que celui-ci fit aussitôt. On a vu que j’avais des raisons d’être sur la réserve avec Bastelica — comme j’en avais à l’égard de Malon ; mais, puisqu’il était malheureux à Londres et voulait quitter cette ville, je lui répondis qu’il y avait du travail à l’imprimerie G. Guillaume fils. Il vint, et je pus l’embaucher sans provoquer de protestation de la part des compositeurs, grâce à un carnet que lui envoyèrent nos amis de Barcelone, établissant — par un léger accroc aux règlements, justifié puisqu’il s’agissait de secourir un proscrit — qu’il était reconnu comme ouvrier typographe par l’Union typographique de cette ville.