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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/580

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Sans une telle organisation, le suffrage sera toujours pour nous une farce sanglante. Consacrons-nous tous à cette œuvre de salut, et ne perdons pas notre temps et nos forces à soutenir la cause de nos ennemis. Abstenons-nous complètement de toute participation à ce que les politiciens appellent avec autant de vérité que de cynisme la balançoire constitutionnelle ; ne contribuons pas nous-mêmes à reforger nos chaînes ; ne sanctionnons pas par nos votes notre propre condamnation. Faisons le vide autour du présent, qui, abandonné à lui-même, tombera en ruines. Frères ouvriers, ne vous laissez pas séduire par les promesses mensongères de certains charlatans prodigues de phrases et si avares de faits. Éloignez-vous avec mépris de ces urnes électorales desquelles ne sortira jamais notre émancipation. Telle est la politique de l’Internationale.


Dans l’esprit de nos amis espagnols, la situation restait mal comprise : on ne se défiait ni du Conseil général, dont le correspondant Engels, connaissant bien les susceptibilités des ouvriers de la péninsule, traitait les Sections d’Espagne avec les plus grands égards ; ni de la Conférence de Londres, au sein de laquelle avait siégé un représentant de la Fédération espagnole, malgré ce que ce représentant avait pu dire à son retour[1] ; et on commençait à se demander si les Sections du Jura suisse, obstinées dans leurs revendications peut-être excessives, et les communards français, brouillés à Genève avec le Temple-Unique sans qu’on sût au juste pourquoi, n’étaient pas un peu dans leur tort. Il en résulta qu’Alerini[2], en son nom et en celui de nos amis de Barcelone, écrivit le 14 novembre une lettre ainsi adressée : « Mon cher Bastelica et chers amis[3] », dans laquelle on lisait : « Une rupture publique [avec le Conseil général] porterait à notre cause un de ces coups dont elle se relèverait difficilement, si tant est qu’elle y résiste. Nous ne pouvons donc en aucune façon encourager vos tendances séparatistes... Quelques-uns d’entre nous se sont demandé si, à part la question de principe, il n’y aurait pas, dans tout ceci ou à côté de tout ceci, des questions de personnes, des questions de rivalité par exemple entre notre ami Michel et Karl Marx, entre les membres de l’ancienne A.[4] et le Conseil général. Nous avons vu avec peine dans la Révolution sociale les attaques dirigées contre le Conseil général et Karl Marx... Quand nous connaîtrons l’opinion de nos amis de la péninsule qui inspirent les Conseils locaux, modifiant notre attitude suivant la décision générale, à laquelle nous nous conformerons de tout point..., etc.[5]. »

  1. « Lorenzo, à son retour de la Conférence de Londres, qualifia le Conseil général de cour de Karl Marx. » — « Notre représentant à la Conférence de Londres disait, en parlant de la majorité du Conseil général, qu’il avait rougi de voir le respect servile et la sotte déférence qu’elle témoignait à M. Marx, qui la gouvernait à son caprice. » (Cuestion de la Alianza, pages 2 et 3.)
  2. Alerini s’était réfugié à Barcelone après les événements de Marseille d’avril 1871, auxquels il avait pris part.
  3. Bastelica était en ce moment à Neuchâtel.
  4. « L’ancienne A. » est soit l’Alliance internationale de la démocratie socialiste créée à Berne le 25 septembre 1868. et qui prononça elle-même sa dissolution après que le Conseil général de Londres eut refusé de l’admettre dans l’Internationale par le motif qu’elle formait « un deuxième corps international » ; soit la Section de l’Alliance de Genève, dissoute le 6 août 1871.
  5. Cette lettre a été imprimée par extraits dans la brochure L’Alliance de la démocratie socialiste, etc., p. 33 ; c’est là que je prends mes citations. La lettre, dit la brochure, « fut envoyée en copie à toutes les Sections de l’Alliance espagnole » (c’est-à-dire de la Alianza (voir plus loin, p. 270) : c’est ainsi qu’elle tomba entre les mains de Marx, quand certains membres de la Alianza de Madrid eurent été gagnés par Lafargue.