Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/611

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Une dizaine de membres de la Alianza (non compris les membres de l’ancien Conseil fédéral de Madrid) s’étaient trouvés parmi les délégués au Congrès ; ils échangèrent leurs vues sur la situation, et, en présence des dissensions qui s’étaient produites à Madrid, et peut-être ailleurs encore, ils constatèrent que leur organisation secrète ne pouvait plus donner les résultats qu’on en avait attendus, et décidèrent de la dissoudre : ce qui fut fait.

Paul Lafargue assistait au Congrès de Saragosse, avec un mandat de la fédération d’Alcala de Hénarès, et sous le nom de Pablo Farga. Il avait exercé une influence marquée sur certaines discussions, et avait contribué plus que personne à faire rejeter le projet de réorganisation, fondé sur le principe d’autonomie, qu’avait présenté Morago. Dans une brochure publiée par lui en juin 1872 (voir p. 307). Lafargue a prétendu que « c’est au Congrès de Saragosse qu’il se convainquit de l’existence en Espagne d’une société secrète appelée la Alianza » ; il ajoute : « Au Congrès de Saragosse, les membres de la Alianza tenaient leurs réunions en secret. Je couchais dans le même logement qu’un de ces alliés, qui se levait à six heures du matin pour aller prendre part à ces conciliabules... Différentes observations que je fis durant ce Congrès me mirent au courant de tout. » On a vu plus haut que Lafargue était « au courant de tout » bien avant de venir à Saragosse, et qu’il avait déjà fait jouer ses marionnettes de Madrid pour tâcher de détruire on d’absorber cette gênante Alianza, en laquelle il voyait un obstacle à la réalisation des projets autoritaires de la coterie marxiste.

Ayant si bien réussi à dominer le Conseil fédéral de Madrid, Lafargue pensa qu’il pourrait exercer aussi son influence sur le nouveau Conseil fédéral que le Congrès venait de nommer ; et il forma le projet de transférer à Valencia la Emancipación. Il en fit la proposition formelle à deux membres du nouveau Conseil, Montoro et Martinez, lorsque ceux-ci, au retour du Congrès de Saragosse, traversèrent Madrid. La chose a été racontée en ces termes dans une circulaire du Conseil fédéral de Valencia du 30 juillet 1872 : « Les délégués, en passant par Madrid, furent invités à souper chez ce monsieur [Lafargue] ; là on chercha à séduire deux membres de notre Conseil, là on proposa de faire paraître la Emancipación au lieu de la résidence du nouveau Conseil, qui aurait passé pour être en même temps le Conseil de rédaction de ce journal, tandis qu’eux, Lafargue et ses amis, l’auraient rédigé en réalité, c’est-à-dire nous auraient envoyé de Madrid les articles tout faits, pendant que nous aurions joué le rôle d’éditeurs responsables de leurs intrigues... Par tout ce qui fut dit là, nous nous sommes convaincus de ce qu’ils sont en réalité et de leurs funestes tendances[1]. »

La suite des événements d’Espagne sera racontée plus loin (p. 287).


Je n’ai pas eu l’occasion de parler de l’Allemagne depuis le moment où avait paru le manifeste du Comité de Brunswick-Wolfenbüttel, et où ses rédacteurs avaient été arrêtés, ainsi que quatre autres personnes. En octobre 1870, Bismarck avait fait remettre en liberté Jacoby et Bonhorst ; Geib fut transféré à Hambourg, et les cinq autres à Brunswick ; Sievers fut relâché en décembre. Le 17 décembre on arrêta à Leipzig Liebknecht, Bebel et Hepner (rédacteur du Volksstaat), sous l’inculpation de préparation au crime de haute trahison. Mais à la fin de mars 1871, les trois prisonniers de Leipzig et les cinq prisonniers de Brunswick furent élargis faute de preuves suflisantes.

Les élections au Reichstag eurent lieu le 3 mars 1871 : un seul socialiste

  1. Ne pouvant pas nier le fait, les auteurs du libelle de 1873 ont essayé de plaisanter (c’est la tactique que Marx explique dans sa lettre à Kugelmann du 15 octobre 1867 ; voir tome Ier, p. 51, note) ; ils ont écrit : « Lafargue fut chargé du péché mortel d’avoir, par un dîner gargantuesque, soumis aux tentations de saint Antoine la faible chair de Martinez et de Montoro, deux membres du nouveau Conseil fédéral allianciste, comme s’ils portaient leur conscience dans leur panse » (L’Alliance, etc.. p. 37).