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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/650

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et quelques autres, blessés de voir Marx chercher à dominer le Conseil fédéral anglais (qui venait de se former) comme il dominait déjà le Conseil général, commençaient à lui faire une opposition qui devait plus tard amener une rupture ouverte. Nous nous figurions que le Conseil général était complètement homogène, et nous enveloppions tous ses membres dans une même réprobation[1]. »


Dans le Jura, toute l’activité de nos militants n’était pas absorbée par la lutte contre le Conseil général. On a vu qu’en avril une grève des ouvriers graveurs et guillocheurs, à la Chaux-de-Fonds, avait été énergiquement soutenue par les membres de la Fédération jurassienne. En même temps, un mouvement ouvrier fort remarquable se dessinait au Val de Saint-Imier : à la suite de la constitution d’une Ligue des patrons horlogers, à laquelle avaient adhéré deux cent vingt-neuf fabricants (Bulletin, no 6), une assemblée populaire réunie à Saint-Imier le 7 avril 1872 décida la création d’une Fédération ouvrière (Bulletin, no 9) ; les comités des diverses associations corporatives du Vallon élaborèrent en commun un projet de statuts, auquel adhérèrent successivement les sociétés des repasseurs et remonteurs, des graveurs et guillocheurs, des peintres et émailleurs, des monteurs de boîtes, des faiseurs de ressorts ; et une correspondance en date du 27 juillet, publiée dans le n° 15-16 du Bulletin (15 août-1er septembre), annonça que « la constitution de la Fédération ouvrière du Val de Saint-lmier était un fait accompli ».


Il avait été décidé, le 19 mai, qu’un Congrès de la Fédération jurassienne serait tenu quelques jours avant l’ouverture du Congrès général. Ce Congrès se réunit le dimanche 18 août, à la Chaux-de-Fonds, à l’hôtel de l’Ours ; il se composait de délégués des Sections de Genève, de Bienne, de Zürich[2], de Porrentruy, de Saint-Imier, de Sonvillier, de la Chaux-de-Fonds, du Locle, de Neuchâtel, des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, des graveurs et guillocheurs du Locle[3]. Un nombre assez considérable d’adhérents à la Fédération jurassienne assistèrent toute la journée aux travaux du Congrès. Il était venu en particulier de Zurich plusieurs étudiants et étudiantes russes et serbes ; je me rappelle que dans le nombre il y avait Sophie Bardine[4]. Bakounine, qui était délégué de je ne sais plus quelle Section, les avait accompagnés.

Le Congrès manifesta l’entente la plus complète entre tous les assistants. Il décida l’envoi de deux délégués au Congrès de la Haye, qui

  1. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 236.
  2. En août 1872, des étudiants russes et serbes, des deux sexes, constituèrent à Zürich une Section slave : c’est cette Section qui fut représentée au Congrès de la Chaux-de-Fonds.
  3. Les noms des délégués au Congrès ne sont pas indiqués dans le compte-rendu publié par le Bulletin.
  4. À ce moment la colonie slave de Zurich était très préoccupée d’un événement qui eut beaucoup de retentissement : la police zuricoise venait d’arrêter, le 14 août, Netchaïef, qui depuis un certain temps se cachait à Zurich, et dont la retraite avait été dénoncée par un mouchard nommé Stempkowski. On lit dans le calendrier-journal de Bakounine : « Août 14. Nietchaïef arrêté. Arrive Ozerof et femme. — 15. Discussion sur Nietchaïef. Holstein à Berne. Œlsnitz accompagne Ozerof à Berne. — 16. Je vais chez Gustave Vogt pour Nietchaïef. Stempkowski espion. Toursky, revision des papiers Nietchaïef. — 17. Serbes chez moi. Partons à 1 h. 40 avec Russes accompagnés de Serbes pour Chaux-de Fonds. » On sait que Netchaïef fut livré à la Russie par le gouvernement suisse le 27 octobre 1872 ; condamné aux travaux forcés à perpétuité, Il est mort en décembre 1882 dans la forteresse de Pierre et Paul, à Saint-Pétersbourg.