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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/651

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devait s’ouvrir quinze jours plus tard, le 2 septembre, et adopta le texte d’un mandat impératif leur indiquant la conduite à suivre; ce mandat portait que la Fédération jurassienne désirait « l’abolition du Conseil général et la suppression de toute autorité dans l’Internationale » ; que les délégués jurassiens devaient « agir en solidarité complète » avec tous les délégués « qui protesteraient franchement et largement[1] contre le principe autoritaire » ; que, si le Congrès de la Haye n’acceptait pas « les bases de l’organisation de l’Internationale énoncées » dans le mandat, les délégués jurassiens devraient se retirer, « d’accord avec les délégués des Fédérations anti-autoritaires »; enfin, que les délégués jurassiens devaient « autant que possible éliminer toute question personnelle, en proposant au Congrès l’oubli du passé ». Les délégués, élus au scrutin secret, furent James Guillaume et Adhémar Schwitzguébel ; ce dernier fut désigné sur le refus d’Auguste Spichiger, qui ne voulut pas accepter la délégation. J’aurais bien voulu refuser aussi, car il m’était très difficile de m’absenter de l’imprimerie pour un si lointain voyage ; mais mes amis insistèrent, et il fallut me soumettre à leur décision. Il fut entendu qu’une souscription serait ouverte dans les Sections de la Fédération pour couvrir les frais de délégation. Naturellement, et comme conséquence de ce vote, le Congrès n’accepta pas la proposition, faite par la Fédération italienne, de tenir le 2 septembre un Congrès international à Neuchâtel, et il chargea le Comité fédéral d’écrire immédiatement à la Fédération italienne pour l’engager d’une manière pressante à revenir sur sa décision et à se faire représenter à la Haye.

Une seconde question dont il fallut s’occuper fut celle de la proposition de la création d’une Fédération suisse. La Section allemande de Zürich (Section Greulich) avait envoyé tout récemment une circulaire aux Sections de la Suisse allemande, dans laquelle, après avoir constaté l’impossibilité de créer une Fédération régionale suisse, elle proposait la constitution d’une Fédération spéciale des Sections de la Suisse allemande. La résolution suivante fut votée par notre Congrès :


Le Congrès jurassien pense que le mieux est de renoncer à la Fédération régionale suisse, comme le propose aussi la Section de Zürich dans sa circulaire du 9 août 1872, et de laisser chaque groupe se constituer et se développer librement sans se préoccuper de la question nationale. Le Congrès affirme, du reste, qu’il maintient d’une manière complète la solidarité économique entre travailleurs.


Le Comité fédéral fut chargé de présenter aux Sections, avant la fin de l’année, un rapport sur les moyens de rendre le Bulletin hebdomadaire, tout en agrandissant son format. À six heures du soir, le Congrès avait terminé ses travaux, et un banquet suivi d’une soirée familière clôtura la journée. Au cours de la soirée, nous vîmes entrer dans la salle où nous étions réunis, au nombre d’une centaine, deux étrangers à la haute stature, à la physionomie méridionale : c’étaient Pezza et Cafiero qui arrivaient d’Italie, pour nous apporter le salut fraternel de la Conférence de Rimini. Pezza, la figure pâle et amaigrie, semblait malade ; et nous apprîmes qu’en effet il était atteint depuis plusieurs mois d’une grave affection de la poitrine qui mettait sa vie en danger : il était très fatigué du voyage, et nous l’envoyâmes se mettre immédiatement au lit. Cafiero, lui, semblait se porter à merveille ; sa figure, aux traits réguliers, qu’encadrait une barbe brune, exprimait à la fois la bonté et l’énergie ; et, à travers ses lunettes, ses yeux souriaient à tous ces amis qu’il connaissait déjà de nom. Schwitzguébel et moi nous le conduisîmes dans une chambre de l’hôtel, pour qu’il

  1. Ces deux adverbes attestent la collaboration de Bakounine à la rédaction du mandat.