Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/12

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l’île de Décima, l’ancienne résidence des marchands hollandais au xvie siècle, notre ancre apparaît à la surface de l’eau, et nous nous dirigeons lentement, sous la double impulsion de notre hélice et de la marée descendante, vers l’entrée de la baie. À cette heure matinale, tout dort encore dans le port de Nagasaki ; le soleil, déjà levé depuis longtemps, reste encore caché par le cirque de collines qui entoure la rade ; seul un officier, qui monte son quart sur la passerelle d’un navire russe, nous salue au passage et nous souhaite bon voyage et bonne chance. Le temple de Outsougué, qui domine la ville japonaise, se perd déjà au milieu de la verdure sombre du bois de camélias qui l’entoure. Nous saluons au passage une petite île très haute, dont les rives s’élèvent à pic du côté du large ; c’est de ce promontoire que les féroces Taïcouns faisaient autrefois précipiter ceux de leurs sujets qui s’étaient laissé séduire par les dogmes consolateurs du christianisme ; là, les pauvres pêcheurs des archipels voisins venaient expier, sur cette nouvelle roche tarpéienne, leur foi dans une vie meilleure, qui devait être la récompense de leurs luttes acharnées contre un élément sans pitié ; et, au moment suprême, leur seule consolation était de pouvoir dire un dernier adieu aux rivages où ils avaient vu le jour et qu’ils apercevaient au loin, à moitié perdus dans la brume.

Bientôt nous laissons derrière nous ce lieu de supplice et ses douloureux souvenirs ; nous abandonnons l’abri des côtes, la vague se creuse, et notre demeure mobile se met à sauter de cime en cime, en faisant jaillir autour d’elle des torrents d’écume. À droite, la terre ferme de Nippon forme une ligne régulière à l’horizon ; à gauche, le groupe des Goto découpe sur le ciel bleu ses cimes boisées ; en arrière, la côte japonaise semble se fermer derrière nous ; à l’avant seul, la mer est libre, et, si nous avions les yeux d’Argus, nous pourrions déjà apercevoir bien loin les côtes de la Corée, le but de notre voyage.

L’archipel des Goto, — les cinq îles, — comprend, outre un grand nombre de petits îlots presque submergés à marée haute, les îles de Ouakamatsou, Nakadori, Hariouo, Oukou et Poukoni. Cette dernière, de beaucoup la plus importante, mesure environ deux lieues carrées ; elle renferme le seul port profond de l’archipel, Kéioura ; cependant les navires qui sont surpris dans ces parages, par le mauvais temps, préfèrent se réfugier dans la baie de Nagasaki, au lieu de s’engager dans un véritable labyrinthe