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de passes et de chenaux. Avant l’abolition de la féodalité au Japon, les Goto formaient une principauté gouvernée par un prince de ce nom ; mais, à l’heure qu’il est, ces îles ne sont plus qu’une partie d’un département dont le chef-lieu est à Nagasaki. On peut encore voir, dans l’île de Foukoué, le château-fort qui servait de résidence aux daïmios au temps de leur grandeur ; seulement, à la place des fiers guerriers qui l’habitaient alors, on voit entrer et sortir de ses portes de petits Japonais, un melon en feutre sur la tête ; leur devanture est agréablement ornée d’une grosse chaîne en simili-or, sans doute pour montrer aux Orientaux que tout n’est pas d’or dans la civilisation de l’Occident, et qui révèle, par sa présence, l’existence de cet incommode instrument qui rappelle à tout instant aux pauvres sujets du Mikado que times is money. Quelques îles des Goto renferment, dit-on, des rizières, dont la production atteindrait le chiffre de 15 000 hectolitres par an ; mais avec nos lunettes nous ne voyons que des champs de blé et d’orge dont les vagues vertes sont coupées çà et là par un cerisier tout couvert de fruits.

Nous passons l’extrémité nord du groupe des Goto, vers les neuf heures du matin. Plus nous avançons, et plus la mer devient dure ; des nuages bas courent sur l’horizon, et déversent sur nous en passant des torrents d’une pluie chaude, venue en droite ligne de l’équateur. Nous entrevoyons seulement, à travers la brume, le cap sud de l’île de Tsoushima ; mais, à partir de ce moment, le brouillard épaissit de plus en plus ; notre vue s’arrête juste à l’extrémité de notre beaupré, qui n’est pourtant pas bien long. Heureusement pour nous, nous nous étions décidés, lors de notre départ de Nagasaki, à mouiller à l’abri de Tsoushima, pour éviter de naviguer pendant la nuit entre des côtes peu connues et encore moins éclairées ; dans cette intention, nous avions emmené un pilote japonais qui connaissait fort bien les parages où nous nous trouvions perdus au milieu de la brume, et où il avait l’habitude de guider les jonques indigènes. Ce pilote nous avait promis de nous mettre à l’abri pour passer la nuit autre part qu’en mer, et sans lui il nous eût été impossible de trouver un refuge au milieu des nuages de brume qui nous entouraient.

Le mot de pilote éveille, dans l’esprit de tout Européen, une idée de sécurité et de responsabilité que la seule vue de notre guide improvisé aurait suffi à dissiper dans le cerveau le plus optimiste.