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Notre soi-disant pilote était un enfant de quatorze ans à peine ; lorsqu’il se présenta pour la première fois à bord, il était vêtu d’un veston gris et d’un pantalon de même couleur ; son chef était garanti des ardeurs du soleil de Nagasaki au mois de juin, par un melon à bord étroit, et ce costume était complété par un plastron de cravate bleu de ciel, au milieu duquel s’étalait une épingle représentant un cornet à piston en miniature. Dès qu’il fut engagé, il disparut quelques instants, puis vint prendre sa place sur la passerelle, complètement transformé dans le costume du pays, ayant à la main un petit paquet contenant les vêtements que nous venons de décrire grosso modo, et qui formaient, vraisemblablement, sa tenue de cérémonie. Ce qui nous fit faire cette supposition, c’est que chaque fois qu’il était appelé auprès du capitaine, il abandonnait aussitôt son costume national pour revêtir le contenu du précieux paquet qui ne le quittait pas un seul instant.

Avec un pareil pilote et le brouillard qui nous entourait, notre prudent commandant crut devoir s’entourer de toutes les précautions imaginables : les vigies furent doublées, des sondeurs furent placés sur les deux bords, les voiles furent serrées, et la marche de la machine fut ralentie ; c’était là tout ce que nous pouvions faire dans l’intérêt de notre sécurité. Nous évitions ainsi de nous échouer sur des bas-fonds ; mais toutes ces précautions nous laissaient désarmés contre les atteintes des malencontreux cailloux dont la tête se dresse au sein des ondes, comme ces diables qui font irruption de leur boîte au moment où on s’y attend le moins. Enfin une dernière considération rendait encore notre situation plus critique ; notre guide voulait nous conduire dans une baie bien abritée, située, disait-il, dans la partie sud-est de Tsoushima ; or, malgré toutes nos recherches sur les cartes des amirautés anglaise et française, il nous avait été impossible de découvrir le moindre abri dans les parages indiqués. Qui fallait-il croire ? notre pilote, encore enfant, ou les savants docteurs en géodésie qui avaient préparé les cartes que nous avions sous les yeux ? La suite de notre voyage nous apprit que le plus savant n’était pas celui qu’un vain peuple pense.

Les fonds diminuaient rapidement sous la quille de notre petit navire ; déjà les sondeurs avaient enregistré des profondeurs peu rassurantes de 5 à 10 mètres, et cependant rien ne nous annonçait le voisinage d’une terre ou d’un abri. L’eau avait conservé sa teinte