Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/18

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seul poisson frais, ou même quelques vestiges pouvant en rappeler l’existence. Il y avait bien, étalées dans les devantures des épiceries, de grosses soles fumées ; mais la pantomime que nous fîmes pour expliquer que nous désirions de semblables victuailles sortant du sein des ondes, resta incomprise ; les agents de police nous rendirent la monnaie de notre pièce ; nous n’avions pas voulu admettre que les signes qu’ils nous avaient faits, pour nous demander nos passeports, eussent la valeur d’une langue universelle, et eux à leur tour excipèrent de leur ignorance de notre langue pour se refuser à nous comprendre. Nous dûmes donc retourner à bord les mains vides.

Le lendemain, à quatre heures du matin, nous quittons le refuge de Yéraisaki ; la mer est encore agitée du coup de vent de la veille ; mais les vagues brisent peu, et notre navire se tire aisément d’affaire par quelques mouvements désordonnés, sans laisser envahir son pont par l’eau. Dès notre sortie de la baie, nous prenons une direction parallèle à la côte de l’île, que nous devons suivre jusqu’à son extrémité nord. Les rives sont partout bordées de collines boisées qui paraissent occuper la plus grande partie de Tsoushima. Des arbres, rien que des arbres, pas un seul espace découvert qui laisse supposer l’existence de cultures ou d’habitations. Au reste, la côte entière est déserte, et aucun bateau de pêche ne vient lui donner un peu de vie et de gaieté.

L’isolement en pleine mer se supporte en général assez facilement ; la vue et les idées se restreignent vite au navire où l’on se trouve, et l’on finit par ne plus songer à la solitude qui vous entoure. En vue d’une côte solitaire, au contraire, les regards constamment dirigés vers la terre y cherchent des traces de l’humanité ; et s’ils sont déçus dans leur attente, un vague sentiment de tristesse envahit l’âme et fait peser sur elle de tout son poids le fardeau de l’isolement.

Pendant que nous cherchons ainsi des êtres humains ou des signes de leur existence, la terre file rapidement devant nous, les collines succèdent aux collines et les flots à d’autres flots. Dans l’après-midi, nous atteignons l’extrémité nord de Tsoushima, et nous entrons dans le détroit de Corée ; à peine les côtes de l’île commencent-elles à perdre de leur netteté que nous apercevons, à l’horizon, les arides collines de la Corée, cette terra incognita qui, avant même d’être ouverte au monde occidental, a été lavée par