Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/54

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officier barbare, s’empresse de vous envoyer dix fois sa valeur sous forme de thés délicieux, de soieries magnifiques et de superbes fourrures. Aussi, au moment de son retour en Occident, où le rappelait son grand âge, il voulut profiter une dernière fois de la générosité dédaigneuse des mandataires du Fils du Ciel. Dans ce but, il persuada à son gouvernement que le moment était on ne peut plus propice pour se conquérir les bonnes grâces d’un prince du sang, proche parent du Fils du Ciel. Bien sûr de persuader ses chefs, il joignit à sa dépêche un dessin représentant la forme ronde des tabatières chinoises, en proposant d’en faire faire une du même modèle, en or massif avec incrustation de pierres précieuses, par un joaillier d’Occident. Quelques mois après l’envoi de la missive qui accompagnait ce modèle, le courrier de Tien-tsin à Pékin apporta dans cette dernière ville un écrin orné de caractères chinois, et qui renfermait une magnifique petite bouteille d’or, toute étincelante des feux des rubis, des topazes et des diamants qui y étaient incrustés. C’était là ce que Son Excellence avait demandé, et quoiqu’il ne s’attendît nullement à un refus, il n’en fut pas moins émerveillé de la beauté de l’objet, qui avait été assuré contre les risques du voyage pour une grande valeur, qui représentait, pour notre rusé diplomate, une somme énorme de présents du prince auquel il était destiné, car jamais, depuis le temps des ambassadeurs porteurs de présents du siècle dernier, un pareil chef-d’œuvre n’avait été offert à un grand mandarin chinois, au nom d’une puissance occidentale.

Un mois avant son départ, notre ministre offrit le fameux présent au prince impérial qui le fit admirer par tout son entourage, preuve bien évidente de son admiration personnelle ; c’était peut-être agir un peu à la hâte, puisque le cabinet de Pékin ignorait encore le moment de la retraite de Son Excellence ; mais cette dernière en avait agi de la sorte afin de donner au potentat tout le temps nécessaire pour faire venir, des quatre coins de la Chine, les belles choses qu’elle devait recevoir pour elle-même, en échange d’un cadeau dont les frais avaient été faits par son gouvernement. Cependant, il attendit une semaine, puis deux, enfin trois, et, comme sœur Anne, il ne vit rien venir. Avec l’attente, ses espérances grandissaient ; le jour du départ fut fixé, et il s’en fut prendre congé du prince qu’il commençait déjà à traiter d’ingrat dans ses moments d’humeur. Deux jours après, Son Altesse impériale alla à son tour