Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/55

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faire ses adieux au ministre ; l’entrevue fut des plus cordiales, car notre homme était trop bon diplomate pour ne point savoir cacher son dépit ; on parla de part et d’autre des excellentes relations que l’on avait eues, et on exprima le regret de les voir si vite interrompues. Son Altesse poussa même l’amabilité jusqu’à dire : « Votre Excellence m’est tellement sympathique que, la première fois que je la vis, il me sembla que je la connaissais depuis des siècles, et aujourd’hui, au moment de la séparation, il me semble que je n’ai eu le plaisir de la rencontrer qu’hier, tant j’aurais le désir de la voir encore. »

Après ce petit speech de clôture, bien oriental de tournure, Son Altesse prit des mains d’un de ses secrétaires un petit paquet, enveloppé de soie rouge, qu’il offrit au ministre, en y joignant quelques phrases un peu vagues sur la valeur extraordinaire du présent qu’il lui faisait.

Une fois l’Altesse partie, notre diplomate s’empressa de développer le précieux paquet, ouvrit le couvercle d’une boîte, doublée de soie jaune, qu’il contenait, et y trouva : devinez quoi ? une simple feuille de papier rouge qui en garnissait le fond et sur lequel étaient écrits les deux fameux caractères longévité et bonheur tracés par la main du Fils du Ciel. Le prince impérial avait été si émerveillé de la tabatière qu’il avait reçue qu’il n’avait pas pensé qu’un tel présent pût être reconnu par de vulgaires fourrures ou du thé plus commun encore, et il n’avait rien trouvé de mieux que de procurer, à la chinoise, au diplomate européen, la plus grande faveur dont le Fils du Ciel puisse honorer un de ses sujets, faveur qui consiste à lui donner plusieurs caractères écrits par son auguste pinceau. On juge de la mauvaise humeur du pauvre ministre en voyant tous les superbes cadeaux qu’il avait rêvés se transformer en deux caractères, dont il ne comprenait même pas le sens, enfermés dans une boîte qui n’avait d’autre valeur que d’être chinoise de fabrication et de couleur. Aussi il quitta Pékin tant soit peu morose, en emportant dans sa retraite, comme dernière étape d’une honorable carrière, le souvenir d’une déception d’autant moins méritée que jamais, depuis 1859, l’Europe n’avait, dit-on, envoyé à Pékin un représentant aussi habile à défendre ses intérêts et aussi digne, par son intelligence, de la représenter.

Pendant que nos compagnons de voyage se délectent à la pensée